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son extrême limite, et jusqu’ici ses dernières conséquences : c’est donc là, toutes réserves faites, qu’on la peut le mieux étudier.

La démocratie ainsi définie, quels en sont les effets ? Quels sont les biens et les maux qu’elle est capable de procurer aux hommes ?

Le plus grand bien de la démocratie, suivant M. de Tocqueville, celui qu’elle produit certainement, c’est le développement du bien-être. Certains économistes, même libéraux, Sismondi par exemple, ont pu le contester, au moins pour la France, et soutenir que la révolution a plutôt nui qu’aidé au bien-être des populations ouvrières. Les économistes anglais de leur côté sont presque tous d’accord pour prétendre que les institutions aristocratiques sont plus favorables au bien-être des masses. C’était en particulier l’opinion de M. Senior, l’un des amis et l’un des correspondans de Tocqueville ; mais celui-ci s’opposait de toutes ses forces à cette prétention, et affirmait que, dans la constitution anglaise, le bien du pauvre est sacrifié à celui du riche. Il reconnaissait que, dans les sociétés démocratiques, les lois ne sont pas toujours les meilleures possible. L’art de faire les lois est un art difficile que les sociétés démocratiques ne possèdent que rarement. De plus, les lois y sont instables : on les change sans cesse, sans attendre même qu’elles aient produit leur effet ; les gouvernans n’y sont pas toujours les plus éclairés, ni même parfaitement honnêtes, parce qu’ils sont souvent besoigneux. Toutes ces causes diverses exercent une action fâcheuse sur le gouvernement de la démocratie. Et cependant la tendance générale et constante de ce gouvernement est le bien-être du plus grand nombre. Les lois sont faites par ceux-là mêmes qui doivent en profiter ; les fonctionnaires n’ont qu’accidentellement des intérêts contraires à ceux du public ; au fond, leurs passions et leurs besoins sont identiques. Il y a donc, malgré les déviations, les temps perdus, les erreurs passagères, les dépenses inutiles, une résultante favorable au bien public. Au nombre de ces biens chaque jour répandus sur un plus grand nombre d’individus, il faut mettre au premier rang le développement de l’intelligence, la diffusion des lumières. Les démocraties peuvent être inférieures aux aristocraties pour les grands talens et les œuvres supérieures ; mais tout le monde y est plus ou moins instruit, plus ou moins éclairé.

Un des plus grands bienfaits de la démocratie, c’est la douceur des mœurs et les progrès de la sociabilité parmi les hommes. Dans les sociétés aristocratiques, toutes les classes sont séparées les unes des autres non-seulement par l’orgueil, mais surtout par l’ignorance où elles sont les unes des autres. On ne sympathise vraiment, les philosophes l’ont fait remarquer, qu’avec les sentimens qu’on a plus ou moins éprouvés soi-même. Plus les conditions sont inégales, plus il y a de manières différentes de sentir parmi les hommes,