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conception rationnelle. Ce qui nous afflige et nous humilie dans la triste guerre civile où viennent sombrer les États-Unis, c’est l’avortement possible de ce plan d’une société construite par la raison humaine. Nous ne comprenons pas qu’une résolution héroïque ne s’empare point, devant un tel spectacle, de quelques intelligences européennes, de quelques cœurs français. Pourquoi des hommes éminens de France, d’Angleterre, d’Italie, d’Allemagne, n’iraient-ils pas, au nom de la raison et de l’humanité, offrir leur médiation aux Américains divisés? Nous ne conseillerions point à des gouvernemens de se charger d’un tel arbitrage, qui pourrait paraître inspiré par l’égoïsme, qui prendrait peut-être le caractère d’une ingérence offensante, et serait exposé à provoquer des défiances et des ressentimens. De simples particuliers, des particuliers illustres, des libéraux connus du monde, devraient être tentés par ce rôle de médiateur qui n’aurait à imposer d’humiliation à personne. Les volontaires français qui allèrent combattre sous Washington n’avaient aucune mission de la cour de Versailles; ils s’étaient au contraire embarqués contre le gré de leur gouvernement, qu’ils entraînèrent à leur suite. L’Europe actuelle ne pourrait-elle envoyer aux États-Unis des volontaires de pacification? N’a-t-elle pas assez de foi, d’autorité morale, d’humanité, pour pousser quelques hommes d’élite vers une œuvre semblable?

Hélas! l’Europe n’aurait elle-même que trop d’occupations à donner chez elle à de tels missionnaires, en admettant que notre étiquette monarchique, dont ces pauvres Américains se moquaient tant autrefois, permît à des particuliers d’intervenir entre les peuples et les rois. L’empereur d’Autriche et les Hongrois n’auraient-ils pas grand besoin d’un de ces négociateurs spontanés et bénévoles que nous rêvons? Il doit exister sans doute un terrain commun où il serait possible à l’empereur d’Autriche et aux Hongrois de se rencontrer. Il ne semble pas que ni l’empereur d’Autriche ni les Hongrois veuillent aller d’eux-mêmes sur ce terrain. L’empereur a cru être très libéral, et il l’est d’intention, on nous l’assure et nous en sommes convaincus, en dotant ses états d’institutions représentatives; mais il n’a pas pris garde qu’au lieu de reconnaître les libertés des Hongrois comme des droits préexistans, il les leur octroyait comme un don de sa grâce impériale. La résolution inflexible des Hongrois est de revendiquer leurs droits comme émanant de contrats antérieurs entre la royauté et la nation, et ils ne veulent point échanger leurs vieux titres contre une concession du bon plaisir que le bon plaisir pourrait retirer. L’Autriche a ergoté, et en fait de distinctions logiques et de dialectique politique elle a trouvé à qui parler. Son dernier mot sera-t-il la raison du plus fort? Nous espérons que non. L’empereur d’Autriche est loyal dans sa nouvelle politique. Pourquoi ne fait-il pas lui-même le sacrifice d’un procédé qui conserve la forme de l’autocratie jusque dans l’inauguration d’un système libéral? Pourquoi ne traite-t-il pas avec les Hongrois sur le terrain où ceux-ci se placent? Pourquoi ne s’en-