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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 juin 1861.

Tout a été dit sur la mort de M. de Cavour. À en juger par l’émotion que ce funeste événement a produite en France, on se fait aisément l’idée de l’angoisse poignante qu’il a causée aux Italiens. La fin du grand homme d’état de l’indépendance italienne a excité en effet parmi nous une sincère et profonde douleur. Devant la subite extinction de ce génie, nous avons vu les dissentimens politiques s’effacer : ceux même qui combattaient la politique de M. de Cavour n’ont pas dissimulé la tristesse et pour ainsi dire l’attendrissement qu’ils éprouvaient en voyant disparaître tout à coup un homme qui occupait une si grande place dans le monde. Il est beau d’avoir mêlé sa vie aux destinées d’un peuple à ce point que les accidens naturels et inévitables de notre existence deviennent des émotions publiques. Pour celui qui est l’objet d’un tel mouvement, c’est ce qu’on nomme la gloire ; mais la sympathie instinctive qui associe les masses à ces grands deuils, cet hommage spontané de regrets que les cœurs rendent aux morts illustres qui ont bien mérité de leurs semblables est un fait qui honore l’humanité et qu’il est consolant d’observer, car c’est en ces momens solennels et fugitifs que l’on reconnaît la vérité de la belle parole de Bossuet : « Quand Dieu créa le cœur de l’homme, il y mit premièrement la bonté. »

Tout se réunissait pour rendre M. de Cavour populaire dans la France libérale : la grande cause qu’il servait et le mouvement d’idées dont il procédait, les facultés éminentes de son esprit et le tour de son caractère. Par les idées, M. de Cavour appartenait à une génération libérale qui a eu l’honneur de compter des représentans même hors de France, qui a rayonné à peu près partout dans le monde, et qui a eu la bonne fortune de se rattacher à la date éclatante de la jeunesse de ce siècle, 1830. Parmi les hommes qui ont puisé leurs inspirations politiques au foyer de 1830, M. de Cavour a été le plus intelligent, le plus heureux, et demeurera le plus grand. Il a eu l’amour des institutions libres ; mais il n’en a pas eu seulement l’amour pla-