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annoncé que le gouvernement anglais était disposé à envoyer « quelques troupes pour renforcer l’expédition française, M. Thouvenel avait exprimé une grande satisfaction en apprenant cette disposition, » qui du reste dura peu, car dès le lendemain 22 septembre. lord John Russell écrit à lord Cowley que le gouvernement anglais « ne croit pas à propos d’envoyer des troupes en Syrie[1]. »

D’où vient cette contradiction entre les consuls et les ministres anglais ? Les uns sont hommes, les autres sont des politiques. J’avoue que si j’étais ministre, sans croire que la politique sentimentale est toujours la meilleure à suivre, je voudrais être cependant un peu plus homme et un peu moins politique. Je craindrais à mettre trop souvent la politique de mon pays en lutte avec les intérêts de l’humanité, d’amasser trop de vœux et trop d’imprécations contre lui, de lui créer des périls qui ne seraient pas plaints et des malheurs qui ne paraîtraient que des châtimens. Ne croyez pas que je veuille dire que lord John Russell et lord Palmerston sont des démons parce qu’ils sont ministres, et les agens anglais des anges parce qu’ils ne sont que consuls ! Non, si lord John Russell était consul à Damas, il parlerait comme M. Brant, et si M. Brant était ministre des affaires étrangères, peut-être parlerait-il comme lord John Russell. À quoi donc tient cette contradiction entre ce que j’appelle l’humanité et la politique en Angleterre ? Je lisais, il y a quelques jours, dans le beau livre du père Gratry, de l’Oratoire, intitule la Paix, le chapitre qui traite de l’Angleterre : quelle sincère et vive admiration d’une part ! quelle colère et quelle juste indignation d’autre part ! Et quand le père Gratry cherche pourquoi il ressent à la fois des sentimens si divers pour l’Angleterre, il ne peut s’expliquer cela que d’une seule manière, c’est qu’il y a deux peuplés en Angleterre, deux hommes dans l’Anglais : il y a l’Anglais et il y a l’homme. L’homme y est excellent : il aime la justice, l’honnêteté, la religion, la liberté, il est charitable, il est généreux, il est libéral ; l’Anglais n’aime que la grandeur de son pays ; il la veut partout et à tout prix. Je n’ai jamais mieux compris la vérité de cette distinction qu’en lisant les dépêches et les documens anglais.

Les deux peuples qu’il y a en Angleterre, les deux hommes qu’il y a dans l’Anglais sont visibles dans cette correspondance. Ils s’y montrent tour à tour. Ils y prennent l’un après l’autre la parole sans s’inquiéter de leurs contradictions. S’agit-il d’assurer la prépondérance de l’Angleterre en Syrie et dans le Liban, s’agit-il de combattre et de détruire l’influence française : l’Anglais est dur, aveugle, impitoyable. S’agit-il, quand les catastrophes, arrivent,

  1. Recueil anglais, p. 130, n°, 134 et 135.