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et les entraîner à l’émigration. Veuillez donner tous ces détails à MM. les commissaires et aux personnes qui vous entourent, et ajoutez, s’il vous plaît, que j’ai été réellement si satisfait du calme qui règne dans la ville, que j’ai reconnu l’inutilité et la superfluité de certaines mesures militaires un peu sévères qui ont été adoptées[1]. » Si ces mesures militaires étaient ces patrouilles de nuit qui effrayaient tant ceux qu’elles devaient rassurer, Fuad-Pacha a fort bien fait de les suspendre.

Cette lettre de Fuad-Pacha à Abro-Effendi montre quel est l’optimisme des agens de la Porte-Ottomane. Est-ce illusion et aveuglement ? Non, c’est la résolution arrêtée de s’affranchir à tout prix de cette surveillance fatigante de l’Europe sur la conduite des fonctionnaires ottomans. Ne pouvant s’en délivrer par la force et par la hauteur comme autrefois, les Turcs essaient de s’en débarrasser par la ruse, disant toujours que tout va bien, qu’ils sont en état de pourvoir à tout, que si les chrétiens ont peur, cette peur est une intrigue. Soyez sûrs après tout que la Porte ne se fait aucune illusion sur le danger des chrétiens en Syrie ; mais si les chrétiens périssent, ils l’ont bien mérité, pour avoir pris au sérieux le hatt-humayoun de 1856 et s’être autorisés « des privilèges et des libertés qui leur ont été concédés depuis ces trente dernières années, » ce qui, aux yeux de tout bon musulman, les met en état de forfaiture et fait qu’il est permis par la loi « de les tuer, de les piller, de prendre leurs femmes et leurs enfans[2]. » Il n’y a qu’une seule chose importante pour le gouvernement turc, c’est d’éviter les plaintes et la colère de l’Europe. Il s’inquiète peu des chrétiens qui sont tués ; il s’inquiète du bruit que fait leur mort. Depuis tantôt un an, il a cherché en Syrie à tromper la surveillance des Français, il s’est efforcé de faire croire que notre intervention était inutile, et l’Angleterre l’a aidé dans cette politique ; mais ne nous y trompons pas : la surveillance et le contrôle des agens anglais vont remplacer en Syrie l’action de nos troupes et ne donneront pas à la Porte le relâche qu’elle espère. Elle aura changé de surveillans ; voilà tout. Il fallait mentir contre la France ; il faudra mentir contre l’Angleterre. Celle-ci se laissera-t-elle attraper, quand ce ne sera plus à notre compte, mais au sien ? Nous verrons ce qu’elle fera. Quant à nous, nous ne demandons qu’une chose, c’est que la surveillance anglaise soit en Syrie aussi efficace pour la sécurité des chrétiens qu’elle sera pénible pour la paresse et l’insouciance des Turcs.

J’ai montré, d’après les témoignages anglais, combien était fausse

  1. Recueil anglais, p. 198, n° 175.
  2. Mémoire de M. Robson, p. 147, n° 146.