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excitera le fanatisme des musulmans ? Cela se dit à Constantinople et à Londres ; cela ne peut ni se croire ni se dire à Damas, au centre même de ce fanatisme musulman dont on veut faire un épouvantail à l’Europe, mais qui n’est terrible que lorsqu’il se croit sûr de l’impunité. « Il règne ici une grande frayeur parmi les musulmans de tous rangs et de toutes classes, écrit de Damas, le 4 août 1860, M. Brant ; leur ton a entièrement changé de ce qu’il était il y a quelques jours, et personne n’ose plus menacer les chrétiens de mort dans le cas où des troupes européennes débarqueraient en Syrie. Aussi avons-nous fait un grand pas, je suis heureux de le dire, vers le rétablissement de la confiance, et les plus timides commencent à croire qu’ils sont sauvés[1] : » paroles décisives, et qui montrent quelle faute auraient faite la France et l’Europe, si, ajoutant foi aux explosions prétendues du fanatisme musulman, elles avaient ajourné l’envoi des troupes françaises. Les fanatiques de Damas leur auraient fait peur, tandis que c’est à eux qu’il fallait faire peur, puisque la peur les pousse à la paix et que l’impunité les pousse au meurtre.

Ce n’est pas seulement dans les jours qui suivent de près la nouvelle de l’expédition européenne en Syrie que M. Brant observe l’heureux effet de cette mesure à Damas. Près de deux mois plus tard, le 20 septembre 1860, il croit encore que l’occupation européenne est le seul moyen de contenir le fanatisme musulman et d’empêcher de nouveaux massacres. Que pense-t-il maintenant ? Qu’avise-t-il du départ de nos troupes ? Tel que je connais maintenant M. Brant, l’Anglais s’applaudit peut-être, l’homme s’inquiète et s’afflige. Voyez sa lettre du 20 septembre 1860 à lord John Russell. « L’explosion que l’on craint à Akka et à Latakia montre que le fanatisme est aussi violent que jamais, et qu’il n’y a qu’une occupation temporaire de la Syrie par les troupes européennes qui peut le détruire. Il serait à redouter que, si sur un point il relevait la tête, et que le gouvernement local fût trop faible pour l’abattre, une nouvelle explosion n’eût lieu dans toute la Syrie, et même au-delà, car je ne crois pas que la Porte ait assez de troupes à sa disposition et des officiers assez énergiques pour arrêter une éruption générale du fanatisme, la population musulmane y étant partout disposée comme elle l’est[2]. » Oui, selon le témoignage de M. Brant, il y a beaucoup de fanatisme dans les populations musulmanes. Comment l’empêcher d’éclater ? En le laissant libre et maître absolu, ou en le contenant par une occupation européenne ? M. Brant n’hésite pas : il faut une occupation européenne.

  1. Recueil anglais, p. 84, n° 101.
  2. Ibid., p. 141, n° 145.