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troupes françaises ne cause de nouveaux troubles[1]. Nos troupes arrivent, et M. Moore écrit à lord John Russell, dès le 22 août 1860, « qu’un grand et général sentiment de délivrance et de sécurité parmi les chrétiens européens et indigènes a suivi l’arrivée des troupes françaises. Avant cet événement, il y avait à craindre toute sorte de désastres à tout moment, et il n’y avait qu’une occupation européenne garantissant réellement la sécurité publique, comme le font les troupes françaises, qui pût calmer les appréhensions. » M. Moore déclare en même temps que les mahométans voient l’occupation française avec la plus grande aversion ; il regrette que des troupes anglaises n’aient pas été envoyées, « ce qui eût calmé et rassuré les musulmans[2] ». Nous reviendrons sur ce désir d’avoir des troupes anglaises qu’exprime plusieurs fois aussi Fuad-Pacha ; nous reviendrons sur cette association visible de l’Angleterre et de la Turquie, qui fait à cette heure la grande confiance de la Turquie. Il nous suffit en ce moment de montrer, par le témoignage de M. Moore, le bon effet qu’a produit l’arrivée de nos troupes à Beyrouth. Elle a rassuré tous les chrétiens ; elle a, il est vrai, mécontenté les musulmans. Nous n’avions pas, après tout, la prétention de les satisfaire, et ce n’est pas pour cela que nous allions en Syrie. On ne peut pas plaire à la fois aux persécuteurs et aux persécutés. Il nous suffit aussi que l’expérience ait montré que ces musulmans mécontens n’ont pas été au-delà de la tristesse et du dépit. Il n’y a pas eu cette grande insurrection mahométane qu’annonçait la note turque du 27 juillet, il n’y a pas eu non plus nulle part d’insurrection chrétienne. Les chrétiens se sont sentis soutenus, et les musulmans se sont sentis contenus. De là le retour de la sécurité à Beyrouth et, partout où nos troupes ont paru. C’est là ce que voulaient la France et l’Europe, c’est là ce qu’il s’agit de continuer aujourd’hui sans nos troupes. Il faut achever l’œuvre sans l’ouvrier.

Faut-il un témoignage plus significatif encore que celui de l’expérience du bon effet qu’a produit la présence de nos troupes en Syrie, de la vanité ou de l’hypocrisie des craintes qu’exprimaient à l’envi la Porte et l’Angleterre sur les explosions du fanatisme musulman à la nouvelle du débarquement des Français en Syrie ? Écoutons M. Brant, consul d’Angleterre à Damas.

Je ne puis point parler de M. Brant sans faire sur lui une courte digression. La justice m’y oblige. Quand j’appris, il y a près d’un an, avec le récit des massacres de Damas, que le consul anglais, M. Brant, avait été le seul consul européen qui fût resté dans sa

  1. Recueil anglais, p. 54, n° 72.
  2. Ibid., p. 82, n° 99.