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Il prit à ces mots un morceau de parchemin dans lequel il fit tomber, d’une de ses jarres pharmaceutiques, une certaine quantité de poudre blanche. C’était un sel minéral dont se fussent bien trouvés, au temps des Borgia, les gens qui, s’étant brouillés avec eux, tombaient subitement malades.

— Ayez jour et nuit ces deux protecteurs à votre portée, reprit le charitable docteur… Dans tous les cas, cela ne vous saurait nuire, et il pourrait arriver que vous en eussiez besoin au moment où vous vous y seriez le moins attendu…

Langdon, un peu étonné, mais toujours de sang-froid, remercia le docteur et le quitta sur une chaleureuse poignée de main.

— Le gaillard n’a pas fléchi, dit le docteur quand mon jeune protégé ne fut plus là… Je ne me trompais pas, c’est ce que j’appelle un homme.

Puis il fit avertir Abel que, s’il était de loisir, son patron aurait à causer avec lui. L’auxiliaire ne quitta pas immédiatement sa besogne ; mais au bout d’une demi-heure le docteur le vit arriver dans son cabinet.

— Abel, lui dit-il, vous étiez, m’avez-vous dit, sur le sentier de « la Montagne » le jour où miss Venner et M. Langdon en sont revenus ensemble ?

— J’y étais, répartit le flegmatique Stebbins.

— Miss Venner marchait en avant et M. Langdon la suivait, n’est-il pas vrai ?

— Comme vous dites.

— Ils ont rencontré M. Richard Venner ?

— Ils l’ont rencontré.

— Les a-t-il abordés ?… Leur a-t-il adressé la parole ?

— Non.

— Les a-t-il suivis du regard ?

— Oui.

— Et il n’a rien dit ?

— Si fait.

— Qu’a-t-il dit ?

— Il a dit : Caramba !

— C’est bien… Ne perdez pas de vue, autant que cela se pourra faire, les allées et venues de M. Richard Venner… Vous m’obligerez, Abel… Je ne voudrais pas qu’il arrivât malheur à ces jeunes gens.

— Compris…

Abel, là-dessus, quitta le cabinet sans plus de cérémonie.


E.-D. FORGUES.