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fascination qu’exerce le serpent est attribuée par les sceptiques à la frayeur dont sa victime est saisie. Bon nombre d’autorités veulent qu’elle tienne à cet étrange pouvoir.

……. That lie
Within the magic circle of the eye,


comme disait le poète Churchill en parlant du comédien Garrick.

« Je lis peu les journaux, et ne tiens aucun compte de leurs histoires d’enfans liés d’amitié avec un serpent. Peut-être ces merveilles de notre temps sont-elles tout simplement la reproduction d’anecdotes du XVIIe siècle, dont quelques-unes, que j’ai lues, sont très naïvement contées et fort amusantes.

« Je ne me chargerais pas de vous donner un bon commentaire sur Christabel ou sur Lamia. Dans le premier de ces poèmes, Géraldine me semble simplement une méchante sorcière, douée, il est vrai, du mauvais œil, mais sans aucun rapport absolu avec l’espèce des ophidiens. Lamia est un serpent dont la magie a fait une femme. L’idée de ces deux récits est mythologique, et ne tient en rien à la physiologie. L’aspect de certaines femmes fait songer au serpent, celui d’un homme rarement ou jamais. Comme beaucoup d’autres, j’ai été frappé de la tête et de l’œil ophidiens qu’est venue nous montrer la célèbre tragédienne Rachel.

« Il faudrait tout un traité, et des plus ardus, pour répondre à ce que vous désirez savoir touchant les limites dans lesquelles la volonté peut se trouver circonscrite par les prédispositions héréditaires. J’ai là-dessus des opinions très peu orthodoxes. Il me semble que le crime et le péché, ces deux abondantes réserves de deux grandes institutions sociales fortement organisées, sont gardées avec plus de soin que les forêts princières contre le braconnage des réformateurs. Il est si facile de pendre un gaillard qui vous gêne, si facile de damner son âme, ou de dire des messes pour le salut d’icelle ! Cela rapporte plus et donne moins de souci que d’assumer sur soi le blâme de n’avoir pas suffisamment étayé, entouré d’influences salutaires cette âme en voie de perdition. Certaines défectuosités physiques rendent un homme impropre au service militaire ; on les constate, on les admet, on laisse cet homme chez lui. De même on reconnaît, on admet les lacunes, les infirmités intellectuelles ; mais jamais on ne s’avise de faire ces différences dans l’ordre moral. La perfection est toujours supposée, toujours exigée. N’est-ce pas singulier ? Je comprends qu’on punisse les auteurs du mal, de même qu’on extirpe une vermine nuisible ; mais où prenons-nous le droit de les juger ? Où prenons-nous celui d’incriminer les rats et les souris, tandis que nous tenons pour innocens la belette et le chat, qui ne valent mieux sous aucun rapport ?