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quelle merveilleuse métamorphose ! Qu’on envisage les termes extrêmes : ici l’homme, âme pensante, être borné dans l’étendue, mais embrassant un monde infini par la pensée ; — là les élémens qui ont servi à le composer, qui se retrouvent dans sa froide cendre ou dans l’atmosphère empoisonnée des cimetières. Quelle distance ! comment réconcilier de semblables phénomènes ? Un moment, une goutte de sang, un grain de poudre, une pierre qui tombe, un rien, rejettent l’être vivant dans l’abîme inorganique ; ce déchirement, ce retour, lent ou instantané, est un problème devant lequel l’esprit recule avec effroi. Volontiers il le rejetterait : il n’aime point à s’arrêter à ces deux termes mystérieux, la naissance ou la mort ; un instinct invincible l’éloigné de tout ce qui rappelle la décrépitude et la décomposition finales aussi bien que la transformation embryonnaire, phases obscures d’une vie encore indécise, monstrueuse et difforme. Tout cela nous épouvante, parce que nous devinons que le redoutable secret de notre destinée s’y trouve caché.

La philosophie spéculative a passé légèrement, sinon dédaigneusement, sur ces problèmes ; elle admet que des rapports existent entre l’être pensant et l’être vivant, mais elle n’a jamais cherché à les analyser avec rigueur. L’école cartésienne et, depuis Descartes, toutes les grandes écoles, philosophiques ont cru résoudre la difficulté en regardant la pensée comme un des attributs essentiels de la substance, aussi bien que l’étendue ; mais on n’a pas expliqué pourquoi cet attribut ne s’y montre pas toujours de la même manière, pourquoi il ne se révèle sous forme consciente que là où la substance étendue revêt des caractères particuliers, s’organise et devient sujette à des transformations d’une rapidité exceptionnelle. Sur ce point, la science, je me hâte de le dire, ne satisfait pas encore à toutes les questions de la philosophie. Fidèle à la méthode d’observation, elle ne pénètre que pas à pas dans l’infini dédale des phénomènes du monde organique ; mais sa marche devient de plus en plus assurée, son horizon s’élargit de jour en jour, et bientôt elle se trouvera en état d’entreprendre avec fruit l’analyse des phénomènes complexes où interviennent la volonté et la personnalité. En attendant, il est heureux qu’un esprit habitué à la rigueur scientifique, mais porté par goût, par son élévation naturelle, aux généralisations, résume de temps à autre sous forme doctrinale les travaux de ses devanciers et les siens propres. C’est ce que vient d’entreprendre avec un grand succès M. Marcellin Berthelot, professeur de chimie organique à l’école de pharmacie de Paris. En lisant la Chimie organique fondée sur la synthèse, ou seulement la longue introduction qui ouvre le premier volume, on connaîtra l’histoire entière de la science chimique, les méthodes sur lesquelles elle s’appuie,