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engendrera quelque jour une renaissance des études philosophiques. La métaphysique a toujours eu la prétention défaire entrer le monde phénoménal tout entier dans des moules abstraits, conçus à priori par le raisonnement ; mais en réalité elle n’a pu complètement échapper aux influences extérieures, et n’a jamais enfermé dans ses formules que les connaissances répandues autour d’elle. Il devient nécessaire que la philosophie puise enfin dans le trésor accumulé depuis cent ans par la science, et chaque jour accru.

Parmi les découvertes modernes, il en est par exemple qui sont de la plus haute importance au point de vue spéculatif : la physique, dégagée des antiques et grossières notions des élémens, a réformé les idées que l’on a si longtemps entretenues sur l’essence des corps ; il semble à peine permis de discuter aujourd’hui sur la matérialité, si l’on ignore ce que nous savons dès à présent relativement aux qualités corporelles, à la corrélation intime qui se dévoile entre le mouvement de la substance et les propriétés sensibles dont elle jouit. La science est allée plus loin encore : elle n’a pas seulement étudié avec une rigueur étonnante les qualités sensibles des corps, ce qui leur communique chaleur, électricité, lumière ; elle en a scruté les affinités mutuelles, elle a observé les lois qui président aux associations et aux dissociations des diverses substances. Telle est l’œuvre de la chimie, qui pénètre, on peut le dire, dans ce que la matière a de plus profond, de plus spécifique. De semblables travaux ont un côté philosophique qui ne peut échapper à personne. Tout ce qui tend à déterminer, à préciser la conception que notre esprit se fait de la matière touche directement au problème fondamental de la métaphysique ; mais l’importance de telles études devient encore plus évidente lorsque, sortant du domaine de la substance inerte et inorganique, la science pénètre dans celui de la substance organisée, vivante. Quiconque a sondé par la pensée le problème de l’être a dû se demander plus d’une fois pourquoi la conscience, l’instinct, le pouvoir de la réflexion semblent attachés nécessairement à des organismes éphémères, esclaves et victimes du temps, contenant en eux-mêmes le germe d’une inévitable destruction, tandis que la pierre, l’eau, l’air, ce qui n’a ni vie propre, ni sensibilité d’aucune sorte, ne change jamais et demeure soumis à des lois indépendantes de la durée. Étrange dualisme ! D’une part, une matière morte, immuable, éternel abîme d’où sort toute vie et où rentre toute vie ; de l’autre, des combinaisons formées d’élémens identiques, mais associés d’après des règles particulières, le cristal devenu cellule, les élémens de l’air, de l’eau, fixés sous forme d’êtres vivans, non plus seulement passifs, mais actifs, produits des forces naturelles devenus des forces à leur tour : quelle, puissance de transformation !