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elle ne portait plus. C’était là véritablement qu’était son trésor, si l’Évangile a dit vrai, car, aux heures mêmes où son esprit suivait avec aisance tous les détours d’un entretien profane, son cœur, toujours rassemblé sous l’œil de Dieu, brûlait d’une flamme discrète et continue à côté de la lampe de son sanctuaire.

À quoi bon décrire d’ailleurs ce qui apparaît de soi-même à la première lecture des écrits de Mme Swetchine ? La finesse d’observation est une qualité assez commune aux moralistes chrétiens. Saint François de Sales, Fénelon, Nicole, en ont donné de grands exemples. Outre l’habitude d’étudier les âmes que donne le devoir de les diriger, la doctrine chrétienne, qui n’est ni surprise ni désespérée de la faiblesse humaine, aide merveilleusement un observateur à se placer au point de vue juste, à égale distance de l’illusion et de la misanthropie. Et de là vient que ceux que leur profession tient hors du monde l’ont souvent mieux connu que ceux qui s’étaient placés au centré pour l’étudier ; mais personne peut-être plus que Mme Swetchine n’a uni à une vue claire des choses de Dieu une vue fine des choses de la terre, et sa plume, comme sa vie, passe d’une sphère à l’autre sans le moindre effort, traçant des pages qui ne seraient pas déplacées dans un roman de mœurs à côté d’élévations brûlantes qui semblent sortir de la cellule inconnue de l’auteur de l’Imitation. Un tel mélange fait à si justes doses n’était peut-être possible qu’à la condition d’avoir mené de front, comme Mme Swetchine, pendant des années, les rapports aimables avec le monde et les relations intimes avec Dieu.

Où Mme Swetchine par exemple, qui n’avait guère usé pour son compte des privilèges de la jeunesse, à qui l’âge n’avait rien ôté, qui vieillissait au contraire entourée de tant de respect, aurait-elle trouvé, si elle n’avait vécu dans le monde, cette peinture poignante non-seulement de l’amertume, mais du ridicule inévitable que la frivolité sociale attache à l’âge avancé ?


« La charité du monde, dit-elle finement dans son Traité de la Vieillesse, n’ose pas dire, comme l’Américain sauvage, qu’il faut tuer les vieilles gens ; mais, en les laissant vivre, elle ne les ménage pas beaucoup plus. S’ils restent dans la dignité de leur âge, on s’éloigne d’eux pour ne s’imposer ni gêne ni contrainte ; s’ils condescendent à se quitter eux-mêmes pour prendre d’autres livrées, c’est le mépris ou le ridicule qui les attend. L’investigation malveillante s’exerce sur leur extérieur : ils se soignent, dit-on, trop ou trop peu. Cherchent-ils

A réparer des ans l’irréparable outrage,


on rit sous cape de leurs inutiles efforts. Si au contraire la négligence s’en mêle, le monde, indigné qu’on lui manque d’égards, s’élève contre le cynisme de ces cheveux gris, de cette bouche démeublée, de cette laideur