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billets dont on constate l’origine et le larcin en les confrontant avec la souche dont ils ont été découpés…

« Que le XVIIIe siècle fût épris d’un amour sincère de l’humanité, soit ; mais enfin qu’a-t-il dit, ou plutôt qu’a-t-il voulu faire que le christianisme n’ait de tout temps porté en lui-même ? »


De ces pensées profondes, qui faisaient le fond des entretiens de Mme Swetchine, la grâce, l’éclat, tout ce qui tient, surtout chez les femmes, à l’imprévu de la conversation, a disparu : la virile maturité du jugement demeure, et je ne sais quel souffle de paix s’en échappe encore.

Parmi les innovations du siècle dernier que Mme Swetchine ne craignait pas d’appeler des progrès, et dont elle cherchait à bon droit la généalogie dans l’Évangile, il n’en est pas de plus éclatante, ni qui ait fait dans le monde une fortune moins contestée, que le développement donné au principe fondamental de l’égalité humaine. Cet enfant du XVIIIr siècle a même pris une telle croissance que par momens on peut craindre qu’à lui seul il ne dévore la substance de tous les autres. Il n’en était pas qui répugnât davantage aux habitudes d’enfance de Mme Swetchine, née dans un monde aristocratique, élevée dans toutes les recherches d’élégance d’une civilisation artificielle, sur une terre que des serfs cultivent ; mais comme il n’en est pas non plus dont la filiation chrétienne soit plus certaine, elle n’eut même pas besoin de venir en France et de respirer notre air saturé d’égalité pour s’en pénétrer naturellement. La charité chrétienne, à elle seule, avait fait son éducation populaire, et quand elle nous vint, elle méritait déjà ce portrait que faisait d’elle sa baigneuse de Vichy, et qui renferme en trois mots tout un code de morale évangélique et même de démocratie chrétienne : « C’était une vraie sainte ; elle considérait un pauvre plus qu’un prince. »

L’humble femme avait raison : la plus délicate considération pour les déshérités de ce monde, c’était là le trait particulier et original, même après dix-huit siècles de christianisme, de la charité de Mme Swetchine. C’est ce que M. de Falloux nous fait bien connaître quand il nous raconte qu’elle ne se bornait pas, avec les pauvres, à l’accomplissement du devoir de l’aumône, mais qu’elle s’occupait aussi avec complaisance de leur procurer des plaisirs permis, des distractions, des jouissances, en un mot de les associer en certaine mesure au luxe innocent de la vie. « A ceux-ci, dit-il, elle achetait quelques pots de fleurs, à ceux-là elle faisait encadrer des gravures qui leur rappelaient un sujet favori ; pour les uns, elle choisissait des livres, pour les autres un meuble commode. » M. de Falloux ajoute à ce sujet, en détournant très heureusement le vers connu de Voltaire par une application qui le relève : « Il n’y a personne pour qui un