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faut croire, c’est de ne rien croire légèrement. » Ce fut à peu près sa réponse an Tertullien orthodoxe du XIXe siècle, et, relevant modestement le défi, elle se mit à l’œuvre. Retirée toute une année durant dans une maison de campagne de Finlande, seule avec elle-même, devant Dieu et sa conscience, oubliant les leçons de son enfance, les liens de la famille, le soin et les intérêts d’une position brillante, elle passa dans l’étude d’une aride question d’histoire ces longues journées d’été auxquelles un pâle crépuscule apporte à peine un peu de repos, et ces nuits d’hiver, plus longues encore, dont aucun soleil n’interrompt la monotonie. Elle sortit de sa solitude, soumise et sereine, heureuse d’avoir, d’après l’avis d’un autre docteur de la primitive église qu’elle aimait à citer aussi, appuyé l’une sur l’autre la foi et la science, et pouvant désormais envisager le doute, quand il se rencontrerait sur son chemin, avec compassion et sécurité, comme on regarde un mal qu’on a souffert et un ennemi qu’on ne craint plus.

Ce fut cette foi née de l’épreuve et trempée par la lutte qui rendit Mme Swetchine, lorsque peu de temps après sa conversion une sourde persécution la contraignit à venir demeurer parmi nous, si merveilleusement propre à démêler et à secourir tant de misères cachées sous l’orgueil philosophique de notre société : non qu’elle fît profession de propagande et prît l’attitude ridicule de prédicatrice de salon. Elle suivait de près en France une autre femme, enfant du nord comme elle, Mme de Krüdner, qui venait de laisser vide le trépied de pythonisse d’où elle avait prêché aux rois la sainte alliance. Mme Swetchine, humble et proscrite, n’aspira point à s’y placer ; mais une femme spirituelle et pieuse, pour obtenir les confidences des peines secrètes de plus d’une âme d’élite, n’a même pas besoin de les rechercher. Les souffrances que cause l’incertitude religieuse sont de celles qui cherchent volontiers un cœur féminin pour s’épancher. Tel qui en rougit devant ses pareils en verse avec soulagement l’amertume dans le sein d’une amie. On dirait une plaie irritable qui ne veut se laisser sonder que par une main délicate. À cette touche légère, dont elle était douée comme beaucoup de femmes, Mme Swetchine joignait d’ailleurs l’avantage de connaître, par une expérience personnelle, toutes les angoisses de l’état douloureux dont on venait spontanément lui révéler le secret. Il n’était aucune des formes du doute qui lui parût, ou difficile à concevoir, ou impossible à surmonter, aucun de ses fantômes dont elle n’eût ressenti et conjuré l’épouvante. Les objections mêmes qu’on opposait à la vérité, qui était devenue l’âme de sa vie, trouvaient en elle une appréciatrice à la fois intelligente, intrépide et inébranlable. Elle marchait à leur rencontre avec calme, sans en détourner les yeux par vain scrupule, sans les écarter de sa route par une formule