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prêt à lui immoler sa vie, à l’illustrer par son génie et à la compromettre par les écarts de son zèle ; dans quelque voie qu’on soit engagé avec lui, merveilleux éclaireur à consulter, guide dangereux à suivre aveuglément.

M. de Falloux, non plus vivement, mais plus entièrement admirateur que moi de M. de Maistre, constate cependant que Mme Swetchine, mise en rapport avec ce brillant esprit, et devant ce prisme qui faisait luire à ses yeux tant de vérités mêlées à tant de paradoxes, fut séduite, mais non subjuguée. Il y avait dans la foi de M. de Maistre une vivacité, une verdeur, si on ose ainsi parler, qu’elle ne trouvait pas dans la religion routinière et desséchée de sa propre église. C’était une saveur de source comparée au goût affadissant d’une eau marécageuse. De plus, Mme Swetchine remarqua bientôt que, tout en prêchant, en exagérant même le principe de l’autorité catholique, M. de Maistre restait le plus fier et le plus indépendant des hommes, tandis qu’à côté d’elle un clergé schismatique, se vantant d’être affranchi de l’obédience romaine, s’était laissé imprimer sur le front, par la main d’un pape en uniforme, la marque indélébile de la servilité. Vérité et liberté étant deux expressions qui sonnent de même aux oreilles généreuses, ce contraste fit incliner sa conscience de très bonne heure vers l’autorité toute morale qui siège à Rome. Néanmoins, lorsque M. de Maistre, dont en tout genre la logique était impatiente et sautait d’un bond du principe à la conclusion, la somma de suivre sans réflexion cette préférence instinctive, l’esprit indépendant de la jeune femme se regimba : elle voulut étudier et examiner. L’examen, en général, ne plaisait guère à M. de Maistre ; fils soumis de l’église, il ne se le permettait pas là où la foi avait décidé : il ne le permettait guère aux autres là où lui-même s’était prononcé. Chez une femme en particulier, rien à ses yeux n’en égalait le ridicule. Ne comprenant pas combien diffèrent les conditions d’un catholique de naissance et celles d’un schismatique qui veut se convertir, il n’eut point assez de dédain et de railleries pour le dessein que forma Mme Swetchine de se faire sur une question dogmatique une conviction par elle-même. « Jamais, lui écrivait-il, vous n’arriverez par le chemin que vous avez pris : vous vous écraserez de fatigue, vous gémirez, mais sans onction et sans consolation ; vous serez en proie à je ne sais quelle rage sèche qui rongera l’une après l’autre toutes les fibres de votre cœur, sans pouvoir vous débarrasser jamais, ni de votre conscience, ni de votre orgueil. » Suivait une énumération ironique de tous les livres qu’il fallait lire, et même de toutes les langues qu’il fallait apprendre pour décider, en connaissance de cause, entre les églises grecque et latine.

Un des cahiers de notes de Mme Swetchine, écrits à cette époque, porte cette épigraphe tirée de Tertullien : « La première chose qu’il