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incertaines, ailleurs des contrefaçons de l’art au XVIIIe siècle, les jongleries du pinceau substituées aux travaux sincères, aux loyaux efforts, — voilà, dans l’ordre de la peinture d’histoire et de la peinture de portrait, ce qui ressort de l’examen du Salon. Dans la peinture de genre et de paysage, une habileté pratique universelle, un nombre infini d’œuvres adroitement exécutées : chez quelques artistes seulement, la volonté ou le pouvoir de faire de cette expérience un auxiliaire pour la pensée, de cette adresse matérielle un simple moyen d’expression ; — parmi les sculpteurs enfin, trois ouvrages vraiment remarquables et quelques morceaux dignes d’estime à côté d’une multitude de formules surannées, de redites banales ou de nouveautés en contradiction flagrante avec les lois de la statuaire : y a-t-il là de quoi nous rassurer beaucoup sur l’état présent de l’art, sur les forces de notre école, sur la vie ou sur la santé des talens ?

Sans doute, nous le disions en commençant et nous n’hésitons pas à le redire, l’art français n’est pas tout entier au Salon ; mais le Salon, tel qu’il est aujourd’hui, avec l’abstention systématique où s’obstinent les artistes éminens, avec les encouragemens presque officiels promis par la loterie aux petites entreprises du savoir-faire, et surtout avec le chiffre illimité des admissions, le Salon, au lieu de stimuler le progrès, est devenu pour le goût public une menace et un danger. Que nous apprennent en effet et que peuvent nous apprendre ces milliers de tableaux dont toute la valeur résulte du maniement plus ou moins adroit de l’outil ? Ils ont, entre autres inconvéniens, celui de multiplier à l’infini le nombre des faux connaisseurs, d’entretenir cette habitude ridicule que nous avons prise depuis quelques années de n’attacher de prix qu’à l’écorce des choses, de sens qu’aux combinaisons des couleurs, aux hardiesses, sinon aux impertinences de la touche, aux jactances ou aux subtilités de la pratique. Sommes-nous bien sûrs d’ailleurs d’être parfaitement de bonne foi dans l’estime où nous tenons des mérites de cet ordre ? Qui sait s’il n’en va pas de notre crédulité apparente sur ce point comme des façons d’agir de certains malades qui, sans croire à la médecine, font mine d’en respecter pieusement les avis ? Notre confiance dans l’empirisme pittoresque n’a peut-être pas plus de sincérité ; peut-être n’est-elle autre chose qu’un symptôme du malaise moral où nous laisse la privation des alimens qui conviendraient le mieux à notre esprit. Nous aurons beau en effet essayer de nous duper nous-mêmes, nous n’arriverons pas à nous passer, dans les œuvres de l’art, des qualités qui nous intéressent surtout, des seules même qu’il nous soit donné d’apprécier sans effort. On ne sait guère en France juger de la peinture au point de vue des conditions qui lui sont propres, des moyens qui lui appartiennent