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Quitter les tableaux de M. de Chavannes pour les portraits de M. Hippolyte Flandrin, c’est passer d’un talent qui se cherche encore au talent en pleine possession de lui-même, c’est opposer les gages certains aux promesses, la science consommée dans le style aux inquiétudes et aux tâtonnemens du pinceau. Les portraits de M. Flandrin sont le chef-d’œuvre de l’esprit de discipline et de méthode. Il est impossible d’étudier plus attentivement et de rendre avec plus de précision les caractères particuliers, la physionomie de chaque type ; il est impossible d’apporter en face des variétés infinies de la nature une probité plus sûre, une volonté plus sincère de ne rien sacrifier au hasard et de poursuivre le vrai dans ses manifestations multiples sans arrière-pensée vaniteuse, sans désir secret d’afficher l’habileté. Autant que personne, nous rendons hommage à l’admirable bonne foi de l’artiste, à sa science si parfaitement exempte de pédantisme. Qu’il nous soit permis néanmoins de constater quelque excès d’abnégation parfois dans cette sobre manière, et d’y regretter, non pas l’expression de la vie morale ou physique des modèles, — car ceux-ci pensent et respirent sous le pinceau de M. Flandrin, — mais la vie plus apparente de l’art personnel, du sentiment qui a guidé la main. Les portraits de M. Flandrin sont des œuvres trop belles à tous égards, ils attestent une habileté trop haute pour qu’il vienne à l’esprit de qui que ce soit d’en discuter la valeur. On peut seulement se demander si, tout en défiant la critique, ces irréprochables ouvrages ont une excellence absolue, une autorité tout à fait magistrale. Il n’est que juste de les classer immédiatement après les portraits peints par M. Ingres : pour mériter d’être mis au même rang, il faudrait qu’ils portassent plus ouvertement l’empreinte de la hardiesse, cet accent de fierté qui donne aux intentions une signification définitive, aux formes du style l’animation suprême et le relief.

Cette placidité dans la manière, cette aptitude à comprendre et à traduire la nature dans un sens plutôt exquis que puissant, se révèlent surtout, et avec le plus d’à-propos, là où le calme et la jeunesse de la forme constituaient les élémens mêmes du travail. Aussi les portraits de femmes peints par M. Flandrin sont en général préférables à ses portraits d’hommes, et, parmi ceux-ci, les meilleurs reproduisent des modèles que leur âge ou les caractères de leur physionomie rapprochaient plus ou moins de la grâce propre à l’autre sexe. Il nous suffira de citer comme exemple une toile représentant le peintre lui-même à l’époque de ses débuts, et une autre toile, — deux jeunes frères appuyés l’un sur l’autre, — exposée dix années plus tard. Quant aux portraits de femmes dus à ce doux et fin talent, depuis celui de Madame Oudiné, peint en 1840, jusqu’à cette Jeune fille à l’œillet rouge, objet au Salon dernier