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pourvu toutefois que l’expérience nous vienne vite, et qu’au lieu de voir dans ce retour vers le passé un mouvement juste et utile, nous sachions y reconnaître ce qu’il exprime en réalité, une stérile agitation de l’esprit et un accident.

Où donc trouver, à défaut de témoignages manifestés, des symptômes d’originalité ? Faut-il les chercher dans le Dante de M. Doré, dans le tableau vigoureusement peint, trop vigoureusement même, où M. Cermak nous montre une Femme de l’Herzégovine se débattant entre les bras de deux bachi-bouzouks, — dans cette suite de compositions sur les amours de Faust et de Marguerite, que M. Tissot a traitées, non sans talent assurément, mais avec une préoccupation excessive de la couleur et du style légendaires, — ou jusque dans l’étrange scène que M. Lambron a représentée sous ce titre : Une Réunion d’amis, et qui nous montre des cochers de corbillard dans le jardin d’un cabaret ? Cette originalité que quelques-uns voudraient attribuer aux violentes idylles où le pinceau de M. Millet célèbre la réalité contemporaine sans réticences d’aucune sorte, où une Tondeuse de Moutons, une Femme faisant manger son enfant affectent des brutalités de style auprès desquelles la manière d’un Valentin paraîtrait presque apprêtée et précieuse, — cette originalité que nous ne rencontrons nulle part à l’état de qualité formelle et de fait, en trouvera-t-on le pressentiment ou la promesse dans les deux grandes toiles que M. Puvis de Chavannes a intitulées Concordia et Bellum ? L’importance et l’apparence exceptionnelle de ces œuvres, le bon vouloir au moins qu’elles accusent, tout nous ordonne d’examiner attentivement la question.

Si M. de Chavannes est encore un nouveau-venu sur la scène, il n’est pas tout à fait un débutant, comme l’ont cru quelques personnes prises un peu à l’improviste par le bruit de son succès. Au dernier Salon, il avait exposé un tableau assez peu remarqué, il est vrai, assez incorrect dans les formes, mais où l’on pouvait discerner sous l’insuffisance de la pratique des instincts élevés et le goût, fort rare aujourd’hui, de la grandeur. À ce titre, nous avions cru devoir mentionner ce tableau ici même, et, tout en espérant mieux de l’artiste, prendre acte de ses premiers efforts. Les progrès accomplis par M. de Chavannes confirment aujourd’hui ce qu’avait révélé déjà l’essai dont nous parlons. Et cependant ces deux vastes compositions sur la paix et sur la guerre ne sont que des essais encore : essais brillans, ambitieux sans jactance, mais non sans d’étranges défaillances de pinceau, œuvres à la fois hardies et timides, où les intentions ont une ampleur presque magistrale et les moyens d’expression une irrésolution voisine souvent de la faiblesse. Il semble que, de peur de mal dire, M. de Chavannes se décide à passer à peu près