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Travestissement peu compliqué d’ailleurs, dont une peau de chèvre fera les frais, et qu’une croix aux mains de l’enfant achèvera de caractériser. Nous l’avouerons pourtant, cette austère livrée du précurseur transformée en ajustement mignard, cette croix jetée comme un jouet dans les plis d’un sayon qu’encombrent des cerises, ce fond de taillis remplaçant le désert, tout nous semble, au point de vue de l’intention morale et du goût, plus malséant encore que tel tableau du XVIIIe siècle, où du moins on n’a pas affaire aux souvenirs formels et aux personnages de l’Évangile. Objectera-t-on que les maîtres italiens eux-mêmes ont eu parfois de ces caprices-, que fra Carnevale entre autres imagina un jour de tenter, à propos du portrait d’un fils du duc d’Urbin, l’entreprise que M. Baudry a renouvelée aujourd’hui ? Malgré l’analogie des données, la différence est grande entre les intentions d’où procèdent les œuvres anciennes et celles que traduit l’œuvre moderne. Par les caractères de l’expression, par la gravité de la physionomie et du geste, les maîtres italiens attribuaient à ces images profanes une signification pieuse, une sorte de majesté naïve. Ce n’est pas l’un d’eux sans doute qui se serait avisé, pour personnifier saint Jean, de nous montrer un enfant se grattant la tête, comme un écolier pris en faute ; mais passons condamnation là-dessus. Y a-t-il dans l’exécution de cette figure une excuse aux erreurs qui l’ont inspirée ? Révèle-t-elle la main d’un dessinateur ? Les contours des bras, du torse, des jambes, le modelé faible ou effacé du tout, ne permettent pas de répondre affirmativement. Le coloris a-t-il ce qui manque au dessin en vérité ou en force ? Il n’est harmonieux qu’à la condition de dépouiller chaque ton de la valeur qui lui est propre et de délayer l’apparence des chairs, de l’ajustement, du paysage, dans une sorte de lavis dont l’uniformité n’est rompue que par l’épaisseur inégale des couches, par les égratignures de la brosse, par les petits artifices de la pratique et de l’outil. Ce mode de peinture éraillée, ces compromis entre les hasards de la touche et l’expression précise de la forme et de la couleur, sont au surplus ce qui caractérise la manière même de M. Baudry. C’est là ce qu’on retrouve dans deux sujets mythologiques, Cybèle et Amphitrite, dans le portrait de M. le baron Charles Dupin, le meilleur néanmoins des quatre ouvrages en ce genre exposés par l’artiste, et surtout dans un portrait de M. Guizot, où l’adresse avec laquelle les mains sont traitées ne saurait racheter les négligences ou les incorrections du reste, l’inertie des traits du visage, et ce coloris blafard qui, à force de prétendre à l’unité, n’arrive qu’à immobiliser la vie.

Si le Saint Jean-Baptiste et le portrait de M. Guizot n’autorisent guère que le reproche, une autre toile de M. Baudry, Charlotte Corday