Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/873

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Aujourd’hui qui pourrait prétendre que le Salon représente l’art français contemporain dans son expression la plus éloquente, dans sa physionomie complète ? L’adresse de la main, les ruses du métier, l’imitation succincte ou minutieuse des vérités vulgaires, voilà ce qu’expriment la plupart des toiles exposées, voilà ce qui semble définir et proclamer la foi esthétique de notre école. Suit-il de là que notre école n’ait rien de mieux à nous montrer ou à nous dire, que toutes les ressources dont elle dispose se trouvent concentrées ici, et qu’en dehors de ces murs où s’affichent les témoignages de la dextérité, rien ne se rencontrerait où l’on pût lire les preuves d’une inspiration plus haute et d’un savoir plus sérieux ? Il n’en est pas ainsi, grâce à Dieu. Les descendans de Poussin et de Le Sueur, les artistes qui travaillent au temps de M. Ingres, n’ont pas si bien renié leur origine ou méconnu les vivans exemples qu’ils se soient tous réfugiés dans le culte des doctrines mesquines, dans la pratique des faciles devoirs ; tous ne croient pas que la peinture n’ait d’autre tâche que d’enjoliver la réalité ou de la transcrire sans commentaires. La recherche du beau et de l’idéal préoccupe encore quelques esprits supérieurs aux tentations mondaines ; d’autres, sans rompre absolument avec les inclinations du siècle, sans s’élever jusqu’aux régions où cessent les bruits de la terre, se tiennent toutefois à une juste distance des faits, et n’en acceptent l’influence qu’avec une docilité mesurée. Dans la sphère tempérée qu’ils habitent, l’art demeure sain encore, sinon parfaitement robuste ; tout est calme, mais non pas inerte, discrètement expressif, mais non équivoque ni rebattu.

Les murailles des églises et des monumens publics fourniraient sur ce point des renseignemens que l’on ne saurait demander aux toiles exposées ailleurs. Sans parler d’œuvres d’une importance et d’un mérite exceptionnels, comme les peintures de M. Flandrin dans la nef de Saint-Germain-des-Prés, peintures que nous avons eu déjà l’occasion d’apprécier dans la Revue[1], on pourrait citer, parmi les travaux de décoration monumentale achevés dans le cours des deux dernières années, plusieurs spécimens remarquables de cette aptitude à concilier le respect de la tradition avec une certaine préoccupation du style et du sentiment modernes. Dans l’ordre des sujets religieux, les scènes de la Passion que M. Signol a peintes à Saint-Eustache, et dont une surtout, Jésus-Christ porté au tombeau, se recommande par la vraisemblance pathétique en même temps que par les caractères imprévus de l’aspect ; — la Chapelle de Saint-François de Sales à Saint-Sulpice, où M. Alexandre Hesse a su très

  1. Livraison du 15 décembre 1859.