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LE
SALON DE 1861

Lorsqu’on voit, à chaque exposition nouvelle, le flot des œuvres secondaires envahir de plus en plus le terrain, et le succès se prendre, faute de mieux, aux paradoxes, aux gentillesses, parfois même aux niaiseries pittoresques, on est tenté de se demander si, tel que nos mœurs l’ont fait, le Salon ne sert pas avant tout à entretenir un malentendu entre les artistes et le public. Sur ce théâtre qu’ont déserté les maîtres, et d’où les disciples d’élite tendent à s’éloigner à leur tour, qui ne sait la place qu’usurpent les vétérans de la médiocrité ou les débutans à peine capables de balbutier un rôle, les impuissances vieillies ou les ambitions hâtives ? Ne les voit-on pas occuper presqu’entièrement la scène et s’y prélasser en sûreté de conscience, comme s’ils exerçaient une fonction principale ? On ne s’explique ainsi que trop bien ce nombre croissant d’année en année de tableaux de genre et de paysages, cette somme considérable d’habileté dépensée en menue monnaie, et cette transformation du Salon, qui devrait être le sanctuaire de l’art contemporain, en un entrepôt où se succèdent périodiquement les produits de l’industrie pittoresque. La foule de son côté s’accommode du spectacle qu’on lui donne, si peu solennel qu’il soit : elle l’accepte comme un fait consacré par l’usage, oubliant d’ailleurs le sens et les caractères primitifs de ce fait traditionnel, oubliant même qu’au commencement du siècle où nous sommes, les expositions publiques résumaient encore tous les efforts, toutes les aspirations, toutes les forces vives de notre école, et que, s’il y avait place dès lors pour les succès et les talens secondaires, ceux-ci du moins faisaient cortège au triomphe des grands talens.