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observé qu’en Angleterre les acteurs et les actrices atteignent un âge avancé. Macklin vécut plus de cent ans. Beaucoup d’autres sont également parvenus à une vieillesse très respectable. Cette longévité des artistes dramatiques, à laquelle on ne s’attendrait guère, si l’on considère les efforts et les luttes fiévreuses de leur existence, paraît néanmoins être un fait très certain dans tous les cas où le cours ordinaire de la nature n’a pas été interrompu par des excès, des privations ou des habitudes funestes[1]. Une longue vieillesse est, selon la Bible, une bénédiction de Dieu ; mais, pour qu’il en soit ainsi et pour qu’elle ne devienne point au contraire un fléau, il faut qu’elle s’appuie sur d’honnêtes loisirs et sur l’assurance d’un certain bien-être. C’est à procurer ces avantages aux acteurs que travaillent les membres fondateurs du Dramatic College. La première pierre de cet établissement a été posée l’année dernière par le mari de la reine. Aujourd’hui dix maisons construites de manière à former vingt logemens séparés et indépendans les uns des autres s’élèvent déjà sur une ancienne bruyère à Maybury. Il y aura un magnifique vestibule, une bibliothèque et d’autres salles communes. Dès que les travaux seront terminés, cet édifice, qu’on a surnommé avec raison le plus beau monument érigé à la mémoire de William Shakspeare, recevra, parmi les vieux acteurs et les vieilles actrices, des pensionnaires élus au scrutin par les gouverneurs à vie, life governors, et les souscripteurs annuels de la société. En attendant, les pensionnaires (car le collège existe en principe) reçoivent 14 shillings par semaine. Peut-être demandera-t-on comment une institution si large et si libérale a pu s’élever en si peu de temps. Tout le monde y a contribué : les sociétés dramatiques de prévoyance ont chacune fourni une somme ; des acteurs comme Charles Kean et Webster ont versé de leur bourse jusqu’à 250 livres sterling ; enfin les théâtres de Londres ont donné des représentations au bénéfice de l’œuvre. Une scène intéressante eut lieu l’année dernière au Crystal-Palace : c’était une fancy-fair (foire de fantaisie) dont les objets se vendaient au profit du Collège dramatique. Les plus belles et les plus célèbres actrices de Londres se trouvaient changées pour ce jour-là en boutiquières. Les moindres bagatelles se payaient un ou deux souverains, on n’avait jamais entendu parler de tels prix ; mais aussi qui avait jamais acheté à de telles marchandes ? Le Dramatic College ne se propose pas seulement de secourir et d’abriter la vieillesse ; il étendra aussi ses ailes sur les enfans des acteurs et des actrices. Il y aura pour eux une école à

  1. Bannister était un jour sur le point de boire un verre d’eau-de-vie, quand son médecin lui fit observer que c’était le pire ennemi qu’il eût sur la terre. « Je sais cela, répondit l’acteur ; mais vous savez aussi que l’Écriture sainte nous commande d’aimer nos ennemis. » — Il n’en vécut pas moins assez vieux.