Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/868

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chaque mois les membres intéressés à recueillir un jour ou l’autre le bénéfice de leur prévoyance ; mais la caisse reçoit en outre des dons volontaires, et beaucoup parmi les souscripteurs n’attendent de leurs versemens que le plaisir d’obliger des confrères. Les acteurs et les actrices se distinguent par leur générosité. Mistress Jordan était à Chester, où elle venait de donner quelques représentations, quand elle apprit que sa blanchisseuse, une veuve avec trois petits enfans, venait d’être jetée en prison par un créancier impitoyable. Elle se rendit aussitôt chez le procureur (attorney) et paya la dette. Dans l’après-midi du même jour, elle se promenait sur les remparts de la ville avec sa domestique, lorsque la pluie l’obligea de chercher un abri sous l’un des porches en ruine qui surmontent le vieux mur romain. Là elle fut suivie par la veuve délivrée de prison et par ses enfans, qui se jetèrent à ses pieds en la remerciant. L’actrice essuya une larme, baisa le front des enfans, et glissant un souverain dans la main de la pauvre mère : « Plus un mot, dit-elle, et relevez-vous, ma bonne femme. » Quelqu’un avait été témoin de cette scène touchante, c’était un prêcheur méthodiste : « Madame, s’écria-t-il, pardonnez-moi la liberté que je prends de vous adresser la parole ; mais plût au ciel que toutes les femmes fussent comme vous ! — Vous n’en diriez sans doute pas autant si vous saviez qui je suis, reprit mistress Jordan avec un sourire. — Et qui êtes-vous donc ? — Je suis une actrice, et vous connaissez peut-être mon nom : mistress Jordan. — C’est dommage, ajouta le prêcheur en soupirant ; mais, qui que vous soyez, vous avez fait une bonne action, et j’espère que vos fautes vous seront pardonnées. » A-t-on le droit de se montrer plus sévère que le prêcheur méthodiste, et n’est-il pas juste de dire que les actrices anglaises rachètent beaucoup de faiblesses par leur charité ?

Une autre institution toute récente efface encore par ses services les diverses caisses de prévoyance qui se rattachent au monde théâtral : je parle du Dramatic College. L’idée de cette œuvre excellente appartient à un acteur, secrétaire de l’Adelphi Theatre, M. J. W. Anson, dont la bienfaisance est infatigable, et au directeur du même théâtre, M. Benjamin Webster. Il y a quelques années, un acteur nommé Alleyn avait fondé ce qu’on appelle en Angleterre un collège, c’est-à-dire une sorte de maison de refuge pour la vieillesse ; seulement le Dulwich College, quoique sorti en quelque façon du théâtre, n’avait guère profité aux membres de la profession dramatique. MM. Anson et Benjamin Webster résolurent d’élever à peu près sur le même modèle un établissement où les vieux acteurs et les vieilles actrices sans moyens d’existence trouveraient à reposer leur tête. Une telle résolution était d’autant plus louable qu’on a