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différentes, qu’il venait rétablir l’ordre ; à ce compte, nous étions donc le désordre ! On parla vaguement d’un contre-manifeste qu’on voulait adresser au roi ; j’en ai conservé un brouillon qui me fut donné à cette époque. Voici ce que j’y trouve de plus saillant : « Ceux qui sont tombés en combattant pour notre cause d’abnégation, qui peut-être ne profitera qu’à vous, ne croyaient pas, sire, qu’en venant parmi nous votre seule intention était de rétablir l’ordre. Ils croyaient, nous en sommes certains, que, donnant franchement la main à la révolution, vous veniez conquérir réellement votre couronne italienne : Ils pensaient qu’entrant dans une incarnation nouvelle, vous laissiez au passé les gloires de la maison de Savoie pour devenir le chef, le premier ancêtre de la maison d’Italie ; mais jamais, sachez-le bien, ces chers morts pour la patrie n’ont cru qu’il fût question d’ordre à maintenir ou de prétendues factions subversives à comprimer. C’est à la diplomatie européenne qu’il fallait dire ces sortes de choses, mais non point à nous qui savons ce qu’il en est. Dans cette ville de Naples, la troisième ville de l’Europe, où nous sommes arrivés en guenilles, traînant nos pieds meurtris sur les dalles brûlantes, vous allez entrer bientôt sur des pavés jonchés de fleurs et sous des arcs de triomphe. Soyez-y le bienvenu et permettez-nous, à nous qui sommes la révolution et la liberté, c’est-à-dire le désordre, ainsi que le dit votre manifeste, en récompense des fatigues que nous avons subies et du sang que nous avons versé, permettez-nous de vous offrir dix millions de nouveaux sujets et le royaume des Deux-Siciles ! » Puis on disait au roi qu’on eût été en droit de lui imposer des conditions avant de laisser voter la population, et ces conditions eussent été : 1° l’établissement immédiat de lignes de chemins de fer qui, traversant l’Italie en tous sens, accéléreraient le mouvement d’unification ; 2° l’instruction obligatoire entre les mains laïques, universités dans toutes les anciennes capitales, collèges dans toutes les villes importantes, écoles jusque dans les derniers hameaux ; 3° rédaction d’un code nouveau, empruntant aux divers codes du monde entier la législation la plus libérale et la plus douce ; 4° abolition de la peine de mort. Je citerai encore cette phrase : « Nous demandons tout pour l’accroissement moral de la patrie ; pour nous, nous ne demandons rien, nous ignorons même si nos grades nous seront conservés, mais cela importe peu, car nous sommes certains de les retrouver pu de les reconquérir à l’heure du péril ! »

Ceux qui avaient rédigé cette sorte d’adresse, appelaient l’attention du roi sur l’état intellectuel du peuple des Deux-Siciles, dont l’ignorance et la superstition réclament des secours immédiats. Il y a beaucoup à faire, mais il y a bien des obstacles à surmonter,