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de leurs moyens d’influence, on ne saurait les taxer d’hypocrisie ; mais à côté d’eux il y en a qui travaillent dans le même sens avec des vues plus ou moins intéressées. Ce sont ces derniers que le théâtre anglais a voulu démasquer et flétrir, se donnant ainsi le privilège de punir par le ridicule un vice contre lequel la chaire oublie trop souvent de s’élever. Ces loups sous la peau de brebis se distinguent d’ailleurs en Angleterre par des traits extérieurs, une cravate blanche, un habit noir, une figure composée sur un type particulier d’ascétisme, des gestes qui contrastent avec l’immobilité ordinaire des Anglais, et surtout un ton de voix faux et traînard qui prêche toujours, même en parlant.

Le Haymarket Theatre nous présente en ce moment le même vice sous un autre masque. Dans une pièce intitulée Black Sheep (le Mouton noir), par M. Stirling Coyle, un assez habile peintre des mœurs et des ridicules anglais sur la scène, Buckstone, le grand acteur comique, portraite, comme disent nos voisins, le tartufe de la philanthropie. C’est là, je l’avoue, un caractère qui peut très bien exister ailleurs, mais qui se rattache néanmoins d’une manière toute spéciale aux habitudes de la charité britannique, Il est rare que l’Anglais fasse l’aumône dans la rue ; mais présentez-lui une liste de souscription, et son cœur s’ouvrira aussitôt ainsi que sa bourse. On dira peut-être que c’est l’orgueil et le plaisir d’avoir son nom écrit sur une feuille de papier qui le déterminent à agir d’une manière si honorable. Je ne saurais pourtant accepter cette interprétation, les listes destinées à secourir certaines infortunes étant chargées de dons anonymes qui s’élèvent souvent à des chiffres très considérables. N’est-il point dès lors plus naturel de rapporter cette formalité de la bienfaisance au caractère anglais, qui veut que tout se fasse dans les règles et qui ne hait rien tant que d’être trompé ? La distribution des secours n’étant point, d’un autre côté, comme en France dans la main de l’état, la charité s’appuyant au contraire sur un mécanisme tout particulier, l’aumône a donné lieu dans la Grande-Bretagne à l’existence de certains agens intermédiaires. Ces derniers méritent en général la confiance qu’on leur accorde ; mais il n’y a guère de troupeau où il ne se glisse de temps en temps des brebis noires. Le Black Sheep que stigmatise le théâtre de Haymarket, en le livrant aux rires du public, est un de ces faux apôtres ; sous les couleurs de la religion et de l’humanité, il a trouve moyen de soigner plutôt ses intérêts que ceux des pauvres. Il traverse en gémissant cette vallée de larmes, mais il boit la rosée des bonnes œuvres et, tout en distribuant de maigres soupes, vit, comme disent les Anglais, sur la graisse de la terre. Dans les deux comédies (Bowl’d out et Black Sheep), le dénoûment est le même, l’hypocrite se trouve puni par où il a péché. Le matérialisme grossier qu’il a cherché à couvrir du