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bonnes, et pourtant elles n’empêchent point les ballet-girls de constituer réellement une classe souffrante. Tout va encore assez bien tarit que florit la patitomime ; mais les fêtes de Noël ne durent pas toujours, et le temps où les ballet-girls se trouvent fort dépourvues, c’est lorsqu’après avoir dansé tout l’hiver viennent les mauvais jours d’été. L’une d’elles, âgée de dix-neuf ans, avait placé l’année dernière son nouveau-né à la campagne chez une femme très pauvre. D’abord la danseuse paya assez régulièrement les mois de nourrice ; mais son engagement étant venu à cesser vers le temps de Pâques, elle n’envoya plus d’argent. L’enfant mourut littéralement de faim par suite de la négligence de la nourrice, qui recourut trop tard à la charité publique. Le juge n’eut point le courage de condamner la mère, car elle ne pouvait faire donner du lait à son enfant, n’ayant point elle-même de pain.

Les ballet-girls ont en outre une mauvaise réputation. La méritent-elles ? C’est là une question délicate que je ne m’engage point à résoudre. Parmi les femmes qui se présentent dans les théâtres de Londres pour personnifier les Vénus de toutes les mythologies, on pense bien que les directeurs ne choisissent point les plus laides, et la pantomime anglaise doit une partie de son succès au luxe de cheveux blonds, de grands yeux bleus et de formes attrayantes qui se déploient alors sur la scène. La beauté associée à une vie de séductions et de misères ne constitue-t-elle point pour ces pauvres filles ce que tous les moralistes regardent comme le danger d’un faux pas ? Tout ce que je puis dire, c’est qu’il y a parmi elles, selon le langage des Anglais, de splendides exceptions. Il y a quelques années, vivait à Londres une ballet-girl qui passait pour un modèle de toutes les vertus solides que les Anglais honorent surtout chez la femme. Elle nourrissait sa mère, qui était infirme, prenait soin du ménage dans une maison trop pauvre pour avoir une domestique, employait à des ouvrages d’aiguille le temps que lui laissait le théâtre, et défiait le souffle impur de la calomnie de toucher son front de neige. Quelques-unes d’entre elles, quoique en petit nombre, sont mariées. Il n’y a pas longtemps qu’a Edimbourg, au Théâtre de la Reine, Queen’s Theatre, des jeunes gens, émerveillés par les visions : féeriques de la pantomime, attendirent dans la rue, à la porte des coulisses, la sortie du corps de ballet. Une ballet-girl se laissa aborder par un étudiant, qui se mit à lui débiter les lieux-communs de la passion. Chemin faisant, ils arrivèrent dans une rue