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et l’état incertain des affaires en Europe. On a même cru y voir un signe de décadence pour la pantomime, dont la baguette magique aurait été brisée par la mort des anciens clowns. L’Anglais se montre, à mon avis, trop attaché à ses plaisirs traditionnels, et la pantomime de Noël tient par des racines trop profondes aux habitudes du pays, pour qu’il y ait sujet de craindre le déclin d’une forme théâtrale qui a du moins pour mérite l’ancienneté. Si grave que soit en apparence la société britannique, les femmes et les enfans y exercent sous certains rapports une influence beaucoup plus grande qu’on ne le croirait à première vue. Or quels sont les mères et les enfans qui voudraient se séparer d’un amusement toujours ancien et toujours nouveau, qui ramène sur la scène ces aimables personnages qu’il serait bien difficile de remplacer : le brillant Arlequin, le turbulent clown, le souffre-douleur Pantalon et la gracieuse Colombine ? La pantomime a encore un autre titre à la considération des Anglais : c’est une importante affaire d’argent. La mise en scène de ces sortes de pièces jette chaque année dans le torrent de la circulation pécuniaire, non pas des centaines, mais des milliers de livres sterling[1] ; elle donne du travail aux hommes, aux femmes, aux enfans. Pour mieux apprécier encore la valeur industrielle des Christmas entertainments, il nous faut pénétrer dans l’intérieur du théâtre et voir la pantomime derrière la toile.

L’entrée des coulisses dans la plupart des théâtres de Londres présente un assez triste aspect ; ce sont des murs délabrés et livides, des allées sombres, des escaliers étroits et huileux. On s’étonne de voir les robes de soie et les fraîches toilettes des actrices s’aventurer dans ces antres misérables. C’est pourtant là que dès le mois d’août, dans les grands théâtres, se préparent toutes les richesses et toutes les pompes du monde imaginaire. Un auteur qui a le plus souvent la confiance du directeur pour ces sortes de pièces, et que les Anglais nomment à cause de cela house-author, propose le sujet de la pantomime qui doit être jouée au commencement de l’hiver. C’est longtemps un secret entre l’auteur et le manager ; cependant l’un et l’autre se mettent à l’œuvre. Il ne faut point perdre de vue que, surtout dans l’idée du directeur de théâtre, la pantomime est une affaire industrielle ; elle doit payer pour la morte saison et combler dans la caisse les vides laissés par le drame ou la comédie. On ne s’étonnera donc plus de voir les régisseurs de théâtre passer d’avance des contrats avec les marchands de Londres pour annoncer certains produits ou certains articles de boutique. Ces annonces déguisées,

  1. Rien qu’à Covent-Garden, le théâtre, il est vrai, le plus renommé pour ce genre de divertissemens annuels, la pantomime coûte chaque année près de 700,000 livres sterling.