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vie, on n’avait rien de mieux à communiquer aux pauvres mortels que de telles rapsodies d’outre-tombe.

C’est le lendemain de Noël, boxing night, que les nouvelles pantomimes font pour la première fois leur apparition sur tous les théâtres de l’Angleterre. Généralement cette pièce se joue à la fin du spectacle ; mais quelques théâtres de Londres, ayant égard à l’âge de leur public, ont établi deux représentations, l’une qui a lieu dans l’après-midi et l’autre dans la soirée. Celle du jour est à mon avis la plus curieuse. Je ne parlerai point de la transition d’une lumière naturelle à une lumière artificielle, car le soleil de Londres est trop souvent au mois de décembre un pauvre invalide qui réclame dans les boutiques.et même dans les rues l’assistance du gaz. Ce qu’il y a de particulier, c’est le personnel de la salle. Un poète anglais pourrait appeler ces représentations théâtrales les fêtes de la maternité. De solennelles matrones du West-End ou de la Cité en grande toilette trônent pompeusement dans les loges au milieu d’un groupe d’enfans dont les têtes blondes s’étagent comme des arbrisseaux en fleurs chez un pépiniériste du Kent. La verve de Punch s’est beaucoup égayée, il y a quelques années, aux dépens d’une société dont le modèle existe en Amérique, et qui se propose d’encourager l’amélioration de la race anglo-saxonne en offrant des prix aux mères qui présentent les plus beaux nouveau-nés. Eh bien ! les salles de spectacle ressemblent assez bien, durant les deux mois qui suivent les fêtes de Noël, à cette institution philanthropique, le babies show. C’est un concours, une exhibition d’enfans aux joues fraîches, aux bras nus et potelés, avec cette seule différence qu’il n’y a point d’arbitres officiels, et que par conséquent chaque mère s’attribue pour les siens le prix de beauté. Quelquefois de grandes écoles de charité arrivent, conduites par les bienfaiteurs de l’établissement, et envahissent moitié des galeries ou du parterre. Qui dira la joie, la surprise, les exclamations naïves de ce public enfantin à la vue des merveilles et des splendeurs du monde enchanté, la vallée des dia-mans, la terre des fées, l’île des femmes volantes, la fontaine des perles liquides, la sphère de cristal ou le château aux portes d’or ? Mais c’est surtout à la grande scène de la transformation[1] que les yeux des spectateurs brillent comme des étincelles, que les cœurs

  1. Pour comprendre la valeur de ce mot, il faut savoir que les principaux personnages de la pantomime sont durant toute la première partie de la pièce des chrysalides qu’une fée bienfaisante dégage de leur état d’imperfection en les touchant avec sa baguette. C’est alors que le clown, Arlequin, Pantalon et Colombine s’élancent, légers et aériens comme des papillons, vers une existence nouvelle. Cette scène de changement, pour laquelle on tient en réserve toutes les surprises de l’illusion, détermine généralement le succès de la pièce.