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burlesque. Il est arrivé ainsi à la pantomime ce qui arrive en Angleterre à beaucoup de coutumes exotiques et surtout à certains mots de la langue. L’origine étrangère, de ces mots-là ne saurait être douteuse ; mais la prononciation anglo-saxonne les modifie tellement et les frappe d’un cachet si national, que l’oreille des peuples auxquels ils sont empruntés ne les reconnaît même plus. C’est ainsi qu’Arlequin, Pantalon et Colombine n’ont plus aujourd’hui rien de commun dans la Grande-Bretagne avec leurs ancêtres d’Italie. Le caractère dominant de la pantomime chez les peuples du midi est l’expression ; on l’a définie avec raison une peinture d’idées par le geste. Tel n’est point aujourd’hui le caractère saillant du même genre de pièce chez les Anglais. Ils lui ont imprimé ce qui fait la puissance, les conquêtes et l’influence de leur race sur toute la terre, je veux dire l’action. Quant au jeu de la physionomie, il n’en faut point même parler, puisque le visage des acteurs se trouve couvert d’un énorme masque. De furieuses pirouettes, des sauts à se rompre le cou, des tours de force prodigieux, d’audacieuses gambades, un va-et-vient perpétuel de tourbillons humains qui balaient tout devant eux sur la scène, en un mot le mouvement dans tout ce qu’il a d’effréné, voilà ce qui tient beaucoup plus de place que les effets mimiques dans la partie muette des divertissemens renouvelés d’année en année pour faire plaisir au bon vieux Noël. La scène anglaise ressemble assez alors aux rues de Londres avec le mirage des affaires, les changemens à vue, les locomotives roulant comme un tonnerre au-dessus du toit des maisons et tout l’opiniâtre travail du déchargement des vaisseaux.

La vraie pantomime se trouve toujours encadrée dans une sorte de pièce plus ou moins féerique dont elle forme l’épisode final. Le sujet de cette pièce est le plus souvent tiré d’un conte d’enfans, ce que les Anglais appellent nursery tale. La mine en est à peu près inépuisable : vous pouvez choisir entre Peter Wilkins, les Voyages de Gulliver, les Aventures de Robinson Crusoé, Sindbad le marin, la belle Rosamonde, Jack le tueur de géans, ou toute autre histoire du bon vieux temps. Plus l’intrigue (le plot, comme disent les Anglais) en est extravagante, plus surtout elle vogue en pleine fantaisie, et mieux cela vaut, car il est plus facile d’y introduire des danses, des effets magiques et toutes les magnificences de la mise en scène. Quelquefois même la pantomime ne s’appuie que sur une chanson populaire ; celle qui a été jouée cette année avec grand succès à Haymarkel Theatre était le développement de deux vers anglais que les enfans chantent ici aux bêtes à bon Dieu (lady-birds) : « Bête à bon Dieu, bête à bon Dieu, vole chez toi ! ta maison est en feu, tes enfans sont seuls ! » Ces pièces de Noël offrent encore un autre genre d’intérêt : la pantomime est la comédie de l’année.