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capitale à l’improviste. Mais c’est au théâtre qu’il fallait voir ces braves Napolitains : ils s’identifiaient absolument avec le personnage, et il n’était pas toujours bon de représenter celui du traître. À cette époque, on jouait une pièce moitié ballet, moitié drame militaire, qu’on appelait la Vivandière de Magenta, ou de Montebello, ou de Valleggio, je ne sais plus exactement. La scène se passait pendant la campagne de 1859 : je n’ai pas besoin de dire qu’il y avait fort peu de Français et que toute la gloire revenait aux Italiens ; ceci est trop naturel pour qu’on puisse s’en étonner. On voyait d’abord défiler des Piémontais agitant un drapeau aux couleurs nationales, et l’on criait vive Garibaldi ! toujours un peu par esprit d’opposition. Quand les dix hommes qui constituaient l’armée sarde avaient quitté la scène pour « courir à l’ennemi sur les ailes de la victoire, » un général autrichien apparaissait : figure rébarbative, uniforme blanc, chapeau à plumes, ceinture jaune, croix et médailles sur la poitrine. Un murmure de mécontentement passa dans la salle. Le pauvre général entama sa tirade et parla de la bannière invincible des Habsbourg : on se mit à huer. Le sifflet est presque inconnu en Italie. L’acteur tint bon et continua ; on hurla : « A la porte ! à la porte ! » Quelques voix ajoutèrent : « Mort à l’Autrichien ! » Au parterre, Un homme se leva et cria : « Ah ! canaille ! si j’avais mon revolver, je te casserais la tête ! » Quelques gamins qui par hasard avaient des souliers les lancèrent à la tête du malheureux acteur. Il n’y tint plus ; il arracha ses croix, son chapeau, sa ceinture, enleva son uniforme, le jeta par terre, le foula aux pieds, cracha dessus, fit un bond jusque dans les coulisses, revint avec un drapeau tricolore, l’embrassa et entonna un hymne patriotique. Ce furent des cris de joie et des applaudissemens à faire écrouler le théâtre. On baissa la toile, on recommença la pièce. L’acteur revint avec son costume autrichien. Il n’avait pas fait trois pas sur la scène que tous les spectateurs levés lui criaient des injures. Pour la seconde fois, il dépouilla son uniforme et continua son rôle en manches de chemise. Chacune de ses paroles était accueillie par des huées. Le pauvre diable s’interrompait alors et disait : « Moi, je suis bon Italien ! Ce n’est pas moi qui parle, c’est l’Autrichien ! » On applaudissait ; il reprenait son discours, on le huait de nouveau ! Pendant toute la pièce, il en fut ainsi. Quand la représentation fut terminée, la foule s’assembla devant le théâtre, et des hommes disaient : « Nous verrons s’il osera sortir ; le lâche ! »


IV

Comme la victoire du Vulturne avait rassuré les plus timorés, et qu’on était bien certain maintenant que jamais l’armée royale ne