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contraires à ses prétentions. M. de Talleyrand disait, de ce ton d’oracle avec lequel il prêchait maintenant le dogme de la légitimité, qu’Eugène de Beauharnais, sujet du roi de France, n’avait rien à demander au congrès, et devrait se contenter de ce qui conviendrait à son souverain. Ce n’était pas là, il est vrai, le langage officiel. Par ménagement pour l’empereur Alexandre, on mit successivement sur le tapis divers projets pour l’établissement de son protégé, sans s’arrêter à aucun. Tantôt il s’agissait de lui donner la ville de Trêves avec un arrondissement convenable, tantôt le duché de Deux-Ponts agrandi, tantôt les Iles-Ioniennes. Déjà cependant l’idée de réduire ce qui lui avait été promis à un grand apanage en Bavière, dans les états de son beau-père, commençait à prendre quelque consistance. Il paraît que le plénipotentiaire bavarois lui-même, le prince de Wrède, avait eu de bonne heure cette pensée. On l’insinua à Eugène ; pour la lui rendre plus acceptable, on lui fit entrevoir comme une sorte d’appendice de cet apanage le gouvernement des provinces réunies à la Bavière par suite des arrangemens et des échanges territoriaux dont on s’occupait alors. Il rejeta bien loin ces propositions et crut pouvoir les considérer comme définitivement avortées. L’attitude de l’empereur Alexandre l’encourageait dans sa résistance. Le 7 février 1815, lorsque le congrès semblait tirer à sa fin, ce prince lui disait encore : « Je vous ai donné ma parole, et je ne puis partir d’ici que vos affaires ne soient terminées. »

On en était là lorsque la nouvelle de l’entreprise de Napoléon partant de l’île d’Elbe pour aller reconquérir la France vint jeter dans le congrès le trouble et la terreur. Eugène, qui, par une de ces illusions d’optimisme auxquelles il était assez enclin, se croyait sur le point d’atteindre la réalisation de ses espérances, comprit dès le premier moment tout ce que cet événement avait de malheureux pour lui et le prétexte que pourraient y trouver ses adversaires pour rétracter les promesses dont il sollicitait l’accomplissement. On sait que la terrible nouvelle surprit le congrès au milieu d’une fête donnée par l’impératrice d’Autriche. Par un hasard singulier, Eugène n’avait pu s’y rendre. Son absence parut suspecte, et lorsqu’il rentrait, à minuit, à son hôtel, des agens de police en occupaient déjà les abords. Il se hâta de voir les souverains et les ministres pour dissiper les soupçons qu’ils pouvaient avoir conçus sur son compte, pour leur donner l’assurance qu’autant il avait été jadis fidèle à Napoléon lorsque des devoirs sacrés le liaient envers lui, autant il le serait désormais à ceux que lui imposerait la situation nouvelle dans laquelle on le placerait, pourvu qu’on ne voulût pas l’obliger à servir contre la France. Alexandre comprit ce langage, et lui promit de nouveau de ne pas l’abandonner. Les autres souverains et leurs