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et c’est votre cœur que je charge de vous punir. » Avec le vice-roi, il fut plus rude. Il taxa d’extravagance sa lettre et celle de la princesse, et lui demanda s’il avait perdu la tête d’interpréter ainsi l’ordre qu’il lui avait envoyé, de rattacher à des considérations politiques ce qui y était tout à fait étranger. Sans trop insister sur l’exécution de cet ordre, il prétendit que, Paris ayant cessé d’être menacé par l’ennemi (ce qui, soit dit en passant, était complètement faux), rien ne serait plus simple pour la vice-reine que d’y venir faire ses couches au milieu de sa famille. Cette lettre contient un passage dans lequel l’empereur laissait voir assez disgracieusement combien il lui coûtait de se considérer comme lié envers qui que ce fût par un sentiment de reconnaissance. « Il est fâcheux pour le siècle où nous vivons, disait-il, que votre réponse au roi de Bavière vous ait valu l’estime de toute l’Europe ; quant à moi, je ne vous en ai pas fait compliment, parce que vous n’avez fait que votre devoir, et que c’est une chose simple. »

Murât avait enfin déclaré la guerre et commencé les hostilités ; mais ses opérations, paralysées par les incertitudes de son esprit, qu’augmentait encore la nouvelle des victoires remportées en Champagne par Napoléon, n’eurent jamais beaucoup d’activité. Il en fit assez pour se perdre auprès de l’empereur des Français, et trop peu pour contenter ses nouveaux alliés. En ce moment encore il négociait avec le vice-roi, avec Napoléon lui-même, et leur faisait espérer, moyennant le partage de l’Italie, qu’il se réunirait à eux pour expulser les Autrichiens. Était-ce de bonne foi qu’il proposait de pareilles conditions ? Voulait-il ménager toutes les chances, ou bien la douleur dont il se disait pénétré à la pensée de combattre ses compatriotes, son bienfaiteur, celui qu’il appelait son meilleur ami, le disposait-elle à cette nouvelle défection ? Tout est possible de la part d’un homme dont le caractère était aussi faible et aussi léger que son cœur était héroïque, et vraisemblablement les pensées les plus contraires prenaient successivement possession de son esprit. Napoléon, à qui il avait écrit, autorisa, le 12 mars, le prince Eugène à accueillir ses ouvertures. « Je reçois, lui disait-il, la lettre que vous m’écrivez avec le projet de traité que le roi vous a envoyé. Vous sentez que cette idée est une folie. Cependant envoyez un agent auprès de ce traître extraordinaire, et faites avec lui un traité en mon nom. Ne touchez pas au Piémont ni à Gênes, et partagez le reste de l’Italie en deux royaumes. Que ce traité reste secret jusqu’à ce qu’on ait chassé les Autrichiens du pays, et que vingt-quatre heures après sa signature le roi se déclare et tombe sur les Autrichiens… Rien ne doit être épargné dans la situation actuelle pour ajouter à nos efforts les efforts de Naples. On fera ensuite ce qu’on voudra, car, après une pareille ingratitude et dans de