Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/793

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dénoncer à l’empereur les torts d’une administration peu paternelle, qui, en ne leur payant pas exactement leur solde et leurs gratifications, tendait, disait-il, à les dégoûter de leur profession. Pour remédier à ces abus, il proposait d’en rendre les généraux responsables.

La guerre terminée, le vice-roi fut chargé de réprimer l’insurrection du Tyrol, qui, enlevé quatre ans auparavant à l’Autriche pour être réuni à la Bavière et regrettant son ancien souverain, s’était soulevé contre ses nouveaux maîtres. Il eut l’honneur d’encourir le mécontentement de l’empereur et même celui du cabinet de Munich par les ménagemens qu’il porta dans l’accomplissement de cette pénible mission, par ses efforts pour y réussir à l’aide des moyens de clémence plutôt que par la force et la rigueur. Napoléon, avec les emportemens de langage qui lui devenaient de plus en plus habituels, écrivait que les Tyroliens étaient une infâme engeance capable de toutes les horreurs, ce qui signifiait simplement qu’ils avaient l’audace de lui résister. Il y eut plusieurs exécutions capitales. L’héroïque chef de l’insurrection, Hofer, fut fusillé à Mantoue sur l’ordre formel de Napoléon. Eugène avait essayé de lui sauver la vie en l’engageant à désavouer certaines proclamations, mais il avait refusé de se prêter à ce mensonge. Dans la Carniole, dans l’Istrie, séparées aussi de l’Autriche pour agrandir le royaume d’Italie, des mouvemens analogues avaient éclaté, et là aussi le sang coula sur l’échafaud. Telle est la terrible nécessité des guerres de conquête, elle oblige le conquérant à traiter et à punir comme des rebelles et des traîtres des hommes coupables seulement de patriotisme et de dévouement à leur prince. Peut-être est-ce là le plus grand crime de ces sortes de guerres.

La campagne d’Austerlitz, à laquelle le vice-roi, on le sait, n’avait pris aucune part, avait singulièrement agrandi sa position, puisqu’un de ses résultats avait été de lui faire épouser une princesse de Bavière et de lui assurer l’hérédité de la couronne d’Italie pour le cas où l’empereur viendrait à mourir sans enfans. Par un bizarre contraste, la campagne de 1809, dans laquelle Eugène s’était distingué, amoindrit ses chances d’avenir. Le mariage de Napoléon avec une archiduchesse d’Autriche, que le cabinet de Vienne accepta et rechercha même pour conjurer les conséquences les plus dangereuses, de sa défaite, n’eut pas seulement pour effet de faire descendre du trône la mère du vice-roi ; la naissance du roi de Rome lui enleva à lui-même la chance de régner un jour en Italie, et il n’en fut que bien incomplètement dédommagé par l’assurance de l’hérédité du grand-duché de Francfort. On ne l’avait initié qu’assez tard au projet qui devait changer si gravement le sort de sa mère, et l’ordre qu’il reçut alors de se rendre à Paris n’était accompagné d’aucune explication. L’empereur voulait se servir de son entremise pour décider Joséphine