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que vous devez avoir aussi un petit équipage de chasse… Il faut avoir plus de gaieté dans votre maison. Cela est nécessaire pour le bonheur de votre femme et pour votre santé… Je mène la vie que vous menez ; mais j’ai une vieille femme qui n’a pas besoin de moi pour s’amuser, et j’ai aussi plus d’affaires, et cependant il est vrai de dire que je prends plus de divertissement et de dissipation que vous n’en prenez… Vous aimiez jadis assez le plaisir, il faut revenir à vos goûts ; ce que vous ne feriez pas pour vous, il est convenable que vous le fassiez pour la princesse… Vous aviez l’habitude de vous lever matin, il faut reprendre cette habitude ; cela ne gênerait pas la princesse si vous vous couchiez à onze heures avec elle, et, si vous finissiez votre travail à six heures du soir, vous auriez encore dix heures à travailler en vous levant à sept ou huit heures. » Il y a certes de la bonhomie dans ces conseils, où, par un singulier trait de caractère, la manie de tout ordonner, de tout régler, se révèle sous la forme de la sollicitude paternelle.

Napoléon, comme on peut le croire, ne bornait pas à ces détails d’intérieur sa correspondance avec le vice-roi. Il continuait à lui faire parvenir sur tous les points de son administration, et dans une forme parfois bien sévère, des avertissemens tantôt très sensés et très pratiques, tantôt empreints de cette manie de pouvoir absolu, de cet esprit machiavélique dont nous avons déjà vu plus d’un exemple. Dans son horreur de la publicité, il lui recommandait non-seulement de faire peu de proclamations, mais de ne pas laisser imprimer les actes purement administratifs, ni les adresses des autorités et des corporations dont les termes ne lui paraîtraient pas assez mesurés. Il se plaignait de ne pas recevoir des renseignemens, des comptes assez précis, assez détaillés, sur l’état du royaume d’Italie, et menaçait le vice-roi, s’il ne l’informait pas mieux à cet égard, d’entrer en correspondance directe avec ses ministres. Un autre grief qui lui tenait fort à cœur, c’est le penchant qu’avait le prince Eugène à écouter les plaintes des Italiens contre les impôts dont ils étaient surchargés. Il trouvait ces plaintes tout à fait mal fondées. « On voudrait l’impossible, disait-il, payer peu de contributions, avoir peu de troupes, et se trouver une grande nation : tout cela est chimère. Les gens de sens doivent s’en rapporter à moi. Je vois ce qui convient et ce qui est bien, parce que mes vues sont supérieures… La seule réponse à faire est celle-ci : Paie-t-on plus qu’en France ? Certes mes peuples de France paient beaucoup plus d’impositions que mes peuples d’Italie… »

Un des argumens que l’empereur employait volontiers, lorsqu’il condescendait à donner des raisons au lieu de promulguer des oracles, pour justifier des actes qui, tels que certaines mesures douanières,