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M. de Beauharnais monta sur l’échafaud le 5 thermidor, quatre jours seulement avant la fin de la terreur. Sa femme, celle qui fut depuis l’impératrice Joséphine, était en prison. Eugène et sa sœur Hortense, préservés encore par leur âge des rigueurs extrêmes de cet épouvantable régime, avaient dû, aux termes d’un arrêté qui exigeait que les enfans des nobles apprissent un métier, être mis en apprentissage, l’un chez un menuisier, l’autre chez une couturière. La chute de Robespierre ayant ouvert les prisons et amené un état social plus supportable, Mme de Beauharnais, rendue à la liberté, put s’occuper de préparer à son fils une carrière plus digne de lui. Le général Hoche, naguère détenu avec M. de Beauharnais, qui, avant de mourir, lui avait recommandé Eugène, l’emmena avec lui à l’armée de la Vendée, dont on venait de lui confier le commandement, et lui fit remplir les fonctions d’officier d’ordonnance. Cela peut paraître extraordinaire, puisque Eugène n’avait guère alors plus de treize ans ; mais il l’affirme en termes formels dans le fragment de mémoires placé en tête de sa correspondance. Il ne donne d’ailleurs aucun détail sur cette campagne, qui, comme on sait, fut plus politique que militaire ; il se contente de dire qu’il trouva là un maître sévère et une rude école. Il n’explique pas non plus pour quels motifs, au bout de quelques mois, Hoche le renvoya à sa mère peu de temps avant la catastrophe de Quiberon, en sorte qu’il n’eut pas à assister à ce massacre, qui ternit si déplorablement l’œuvre de la pacification de la Vendée.

Il se trouvait à Paris au moment de la tentative contre-révolutionnaire du 13 vendémiaire, dont le mauvais succès rendit pour quelque temps l’ascendant au parti jacobin. Cette, journée, personne ne l’ignore, fut le véritable point de départ de la fortune du général Bonaparte. En récompense de la part décisive qu’il avait eue au triomphe de la convention, il obtint, avec le grade de général de division, le commandement de la division militaire de Paris. L’ordre ayant été donné à tous les habitans de remettre leurs armes, Eugène de Beauharnais, qui ne pouvait se résigner à se séparer du sabre de son père, alla trouver le général Bonaparte pour lui demander la permission de le conserver. Bonaparte, frappé de cette démarche d’un aussi jeune homme ou plutôt d’un enfant, lui fit quelques questions auxquelles il répondit avec assez de bonheur, et, non content de lui accorder l’autorisation qu’il sollicitait, voulut la porter lui-même le lendemain à Mme de Beauharnais, qu’il n’avait jamais vue. En la quittant, il exprima le désir de renouveler sa visite, et quelque temps après il lui offrait sa main, qui fut aussitôt acceptée.

Eugène et Hortense, dès qu’ils purent soupçonner que leur mère pensait à se remarier, en témoignèrent un tel déplaisir qu’elle jugea