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LE
PRINCE EUGENE

Mémoires et Correspondance politique et militaire du prince Eugène, publiés, annotés et mis en ordre par M. A. Du Casse, auteur des Mémoires du roi Joseph.

Le prince Eugène n’était pas un homme de génie ; je dirai plus, ce n’était pas même un homme d’esprit dans le sens exclusif et trop restreint que les Français attachent à ce mot. Dans toute sa correspondance, qu’on vient de publier en dix volumes, on chercherait vainement une pensée forte, un trait vif et piquant, une de ces expressions saillantes qu’à défaut même de l’esprit la passion suggère quelquefois. Le fils adoptif de Napoléon était-il donc un homme médiocre ? Non certes, à moins qu’on ne donne à cette expression de médiocrité une valeur plus rapprochée peut-être de son sens primitif que celle qui s’y attache généralement, à moins qu’on n’entende, en l’appliquant au prince Eugène, que s’il n’était pas au niveau des grands hommes, il dépassait de beaucoup, par l’ensemble de ses facultés et surtout par son caractère, celui des hommes ordinaires. Si je ne craignais de tomber dans l’affectation de l’antithèse, je dirais qu’il y avait en lui une absence d’originalité qui, à l’époque où il vécut, constituait une originalité véritable. Au milieu de tous ces personnages étranges qu’avait fait éclore la révolution, et en qui l’esprit d’aventure, l’ambition la plus illimitée, le mépris ou plutôt l’oubli, l’ignorance de tous les principes se trouvaient trop souvent unis à de grands talens, à une rare énergie et au plus héroïque courage, Eugène se faisait remarquer par une intelligence froide et calme, par une bravoure égale et chevaleresque, supérieure peut-être dans son principe