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Permettez-moi donc de compter sur vous pour l’insertion intégrale de ma lettre dans le prochain numéro de la Revue des Deux Mondes, et veuillez agréer, monsieur, avec mes remercîmens anticipés, l’assurance de ma considération distinguée.


A. DE FALLOUX.


Paris, 18 mai 1861.


M. de Falloux me reproche de me faire l’écho de calomnies dont il aurait été victime à une époque déjà lointaine, et me demande de réparer cette offense involontaire. Nous faisons droit à sa réclamation bien volontiers ; mais en vérité elle nous semble mal fondée, et même un peu sans objet. M. de Falloux n’a pas besoin de se défendre contre nous d’avoir fait l’apologie de la Saint-Barthélémy, car nous ne l’avons accusé de rien de pareil. Nous avons dit qu’il avait fait l’apologie de l’inquisition, et qu’il avait trouvé des excuses pour la Saint-Barthélémy. M. de Falloux est académicien et politique ; en cette double qualité, il connaît trop bien la valeur des mots pour ne pas comprendre la différence qui sépare ces deux expressions. J’espère que je ne calomnie pas M. de Falloux en disant qu’il a fait l’apologie de l’inquisition, sa préface de L’Histoire de saint Pie V est là pour répondre. Cependant sa lettre passe absolument sous silence cette défense prudente et mesurée, mais ferme et nette, de l’inquisition. Pourquoi ce silence, puisque c’est à la seule inquisition que s’applique dans mon article le mot d’apologie contre lequel il réclame ?

J’ai dit que M. de Falloux avait trouvé dans son esprit fertile en ressources des excuses pour la Saint-Barthélémy. Qu’on lise les vingt-cinq pages qu’il a consacrées à cet horrible événement dans les pièces justificatives de son Histoire de saint Pie V. Ce n’est pas un panégyriste qui parle, je l’accorde ; mais c’est un avocat qui plaide pendant tout le temps les circonstances atténuantes en faveur de cliens qu’il est vraiment difficile de défendre, et qui invoque l’alibi en faveur des plus soupçonnés et des plus compromis. M. de Falloux nie tout, la préméditation du massacre, le guet-apens, la complicité du parti catholique et de la maison de Guise. Les longues et pressantes sollicitations de Pie V pour l’extermination de l’hérésie se transforment, sous sa plume, en exhortations de charité et de pure vigilance religieuse. Lorsqu’on cherche quels sont les auteurs de la Saint-Barthélémy, on ne trouve plus personne, si ce n’est le peuple, qui a toujours bon dos, et Catherine de Médicis, qui depuis trois cents ans représente fort injustement, selon nous, le bouc émissaire chargé des péchés et des crimes du XVIe siècle. Comme l’espace qui m’est accordé est fort restreint, je supprime à mon grand regret toute controverse, et je me borne à expliquer le sens des paroles qui ont éveillé la susceptibilité de M. de Falloux. La réponse dépasserait de beaucoup sa lettre, s’il nous fallait discuter chacun des argumens de son ingénieux plaidoyer, et nous préférons renvoyer à une autre place, s’il y a lieu, cette controverse, à laquelle, pour notre part, nous ne nous refusons pas.


EMILE MONTEGUT.


V. DE MARS.