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nie. Le motif réel du rejet n’est cependant ni l’un ni l’autre de ceux-là ; c’est bien plutôt que, pendant le provisoire, le Danemark propre et le Slesvig continueraient à avoir dans le rigsraad une représentation commune, et à former de la sorte une unité presque compacte vis-à-vis du Holstein, dont les députés seraient absens. Ce ne serait pas la faute du gouvernement danois, puisque l’Allemagne elle-même a requis l’abolition de la constitution commune pour le Holstein et le Lauenbourg, et que, par cette suspension, les représentans de ces deux duchés allemands ont dû s’abstenir de reparaître au rigsraad ; mais l’Allemagne est furieuse de tout ce qui rapproche le Slesvig du Danemark propre, de tout ce qui éloigne le Holstein du Slesvig, et cependant c’est elle, en cette occasion, qui a de ses propres mains opéré ce double changement ! Que ne s’y résigne-t-elle après l’avoir voulu ? et quelle preuve insigne d’une agitation fiévreuse, passionnée, qui bannit tout calme et toute réflexion !

Les états ont enfin rejeté la constitution particulière qu’on leur offrait, et nous avons dtt que cette constitution proposée était des plus libérales, offrant la liberté religieuse, l’émancipation des Juifs, etc. Comment cela se fait-il, et l’Allemagne déteste-t-elle les Grecs, même lorsqu’ils lui apportent des présens ? — Mieux que cela ; ce sont les présens eux-mêmes qu’elle redoute, et nous touchons ici à une des explications les plus instructives de tout le débat. Le Danemark forme une petite monarchie de trois millions d’hommes d’autant plus intéressante qu’elle est franchement et fermement libérale. Frédéric VII avait promis en janvier 1848 à ses sujets une constitution ; Frédéric VII, après février 1848, a tenu sa parole. Sans excès et sans secousse, avec l’aide d’une bourgeoisie éclairée et d’un roi honnête homme, le Danemark a passé subitement de l’absolutisme aux formes constitutionnelles, et il s’y est maintenu ; il n’aspire qu’à étendre le système de la liberté réglée et de l’égalité au duché de Slesvig, qui, occupé en 1849 par l’insurrectipn, n’a pu recevoir immédiatement la constitution dont le reste de la monarchie était doté alors. C’est même un droit dont le Danemark se voit privé arbitrairement. Bien plus, il ne demanderait pas mieux que de faire part au Holstein lui-même de toutes les libertés souhaitables. Le Danemark a rompu avec les liens du passé, et il s’est mis à l’unisson avec l’esprit moderne ; il n’a qu’à gagner à la liberté et à la propagande de la liberté. Ce n’est pas là pourtant le compte des hobereaux du Holstein, qui dominent dans les états provinciaux d’Itzehoe, comme dans ceux de Lauenbourg. Cette noblesse, peu nombreuse, mais qui possède encore de grandes propriétés, vit de quelques beaux et bons restes de féodalité. Elle a conservé beaucoup de liens de famille et de tradition avec la noblesse du duché de Slesvig, liens qui se sont formés ou fortifiés dans les intervalles pendant lesquels les deux duchés sont restés unis. C’est précisément cette chevalerie slesvig-holsteinoise qui, se faisant de la passion de l’Allemagne un instrument, refuse pour le Holstein, où son autorité domine, les libertés offertes par le Danemark, et lutte même pour en priver le Slesvig, parce qu’elle en redoute le voisinage. Singulière coalition des convoitises démocratiques de l’Allemagne (car c’est ici le parti démocratique qui, à défaut de l’unité nationale vainement poursuivie, demande en compensation l’envahissement au dehors) avec les