Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/760

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les élections pour le corps législatif, n’auront point lieu cette année. M. Véron, renaissant à la vie de la presse, a publié dans son ancien journal un article où il oppose, avec la désinvolture qui le distingue, de nombreuses objections au renouvellement de la chambre dans les circonstances présentes. L’article de M. Véron, ayant aujourd’hui les honneurs du Moniteur, prend l’importance d’un oracle. Nous devons donc nous le tenir pour dit : il n’y aura point de dissolution cette année.

Deux incidens qui, sans appartenir à la politique proprement dite, l’effleurent pourtant, ont depuis quinze jours piqué la curiosité publique et excité une certaine émotion. Il y aurait de l’affectation de notre part à ne pas mentionner au moins la lutte qui s’est engagée entre le prince Murat et le prince Napoléon pour l’élection à la dignité de grand-maître de l’ordre maçonnique. Il paraît qu’un certain nombre de francs-maçons, mécontens d’un vote donné au sénat, par le prince Murat, n’ont plus voulu de lui pour grand-maître, et, l’époque de l’élection approchant, voulaient le remplacer par le prince Napoléon. L’intervention du préfet de police a mis fin à ce débat, qui, amusant pour les uns comme la querelle épique du Lutrin, prenait pour d’autres, assure-t-on, des proportions quasi-tragiques. Nous demandons pardon à l’Académie, si, après avoir mentionné cette lutte maçonnique, nous passons sans transition au vote par lequel elle a enfin décerné le grand prix de 20,000 francs. Nous ne commettrons point envers elle l’irrévérence d’associer deux épisodes si différens. Nous ne sommes point partisans des prix académiques ; il nous semble que les écrivains d’élite ne les ont jamais recherchés. Nous sommes peu flattés de voir instituer des derbys littéraires. C’est une bizarrerie de notre nation : on dirait que nous ne sortons jamais du collège ; l’autorité ne quitte pas chez nous les airs du maître d’école, et nous recevons des pensums ou des prix jusqu’à la fin de nos jours. La chose pourtant étant ainsi, nous avions cru, et la majorité du public lettré était évidemment avec nous, que le prix devait être donné au plus grand écrivain de notre temps, au seul qui ne puisse être de l’Académie, à George Sand ; mais l’élection du lauréat a un peu ressemblé aux élections des papes dans les conclaves. Les académiciens, après avoir multiplié les scrutins sans résultat, ne voulant pas démordre de leurs candidats préférés, on s’est mis enfin d’accord en faisant un choix imprévu, en choisissant le lauréat au sein même de l’Académie. Pour un vote d’acclamation, le seul candidat papable, comme disent les Italiens, était l’historien de la révolution et de l’empire, l’homme qui a élevé les deux plus vastes monumens de l’histoire du siècle, M. Thiers. Dès que les académiciens, écartant George Sand, consentaient à choisir parmi eux l’ouvrage qui devait être couronné, M. Thiers était le candidat que désignait l’opinion générale.

La situation extérieure conserve cette même apparence de calme passager où l’on se repose depuis quelques semaines, et qui paraît devoir se prolonger