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qui a choisi là un sujet bien lugubre pour un ouvrage sans action visible. J’ai cependant remarqué dans Topera de M. Membrée un chœur charmant, une jolie mélodie pour voix de femme, et le trio final avec chœur, d’un bel élan religieux et patriotique. Il faut savoir gré à l’Union artistique de ce premier essai de son patronage généreux envers les artistes de talent qui ont besoin de se produire et de se soumettre au jugement de l’opinion publique.

M. Félicien David n’est pas le seul compositeur de mérite qui soit entouré d’un cercle de dévots enthousiastes, qui le proclament un homme de génie méconnu par les profanes et les philosophes. La bonne ville de Paris renferme beaucoup de ces petites chapelles, où l’on adore un saint aux dépens de tous les autres. Ici c’est M. Félicien David, là c’est M. Gounod, dont on ne prononce le nom que le front prosterné et les yeux remplis de larmes d’admiration ; à droite, c’est M. Reber, homme modeste et musicien d’un mérite solide et reconnu, à qui on offrait, il y a dix ans, des holocaustes qui l’importunaient beaucoup ; à gauche, c’est M. Berlioz, que l’on voit perché sur un bâton comme un vecchio papagallo, recevant depuis trente ans les salamalecs d’une demi-douzaine d’originaux, parmi lesquels on distingue M. Léon Kreutzer, M. Léon Kreutzer, qui est encore jeune, est le neveu du célèbre violoniste de ce nom, qui a été chef d’orchestre de l’Opéra, et qui a composé un grand nombre d’ouvrages, tels que Paul et Virginie et Lodoïska, pour le théâtre de l’Opéra-Comique. M. Léon Kreutzer est un esprit naïf et original, car il croit sincèrement en M. Berlioz et déteste Rossini, la musique italienne et une partie de l’école française, surtout l’auteur de Zampa et du Pré aux Clercs, parce qu’il pense que ces deux chefs-d’œuvre ont fait tort à la réputation de l’auteur de Benvenuto Cellini, opéra un peu trop romantique pour le tempérament de la France. M. Léon Kreutzer, qui a des loisirs, fait aussi, à son heure, de la critique humoristique très originale, et il compose de la musique qui ne l’est pas autant. Il a donné cet hiver deux concerts, l’un dans les salons de Pleyel et l’autre dans la grande salle du Conservatoire, où il a fait entendre de nombreux morceaux de sa composition, une symphonie, un grand concerto pour piano et orchestre, des mélodies, des airs de danse, enfin une exposition complète de son œuvre intime. La symphonie en si bémol de M. Léon Kreutzer n’est pas en soi un bon ouvrage ; mais on y remarque du talent, l’habitude d’écrire pour l’orchestre et une forte imitation de Beethoven. C’est le finale qui m’a paru être la partie saillante de cette symphonie, que j’ai entendue deux fois. Le concerto symphonique, dont Mme Massart a rendu la partie de piano avec un talent remarquable et une énergie tempérée de grâce dont je ne la croyais pas capable, ce concerto d’une longueur démesurée est une composition sérieuse et de longue haleine et qui fait honneur à M. Léon Kreutzer. Le scherzo, qu’on a vivement applaudi, et le finale sont les épisodes les plus intéressans de cette œuvre, qui pèche surtout par le défaut de proportion et de variété dans les idées accessoires.’ Une mélodie dialoguée à deux voix, l’Ondine, qui a été chantée avec charme par Mlle Cico, une