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droit de franchir les Pyrénées ? Cet oubli devrait-il aujourd’hui lier les mains à des provinces entières ?… »

Le côté de la question touchant à la défense nationale était celui qui avait le plus agité les passions : c’était évidemment le plus faible ; mais il n’y avait rien à faire, l’effet était produit, et jamais les masses n’avaient été plus habilement mises en émoi. Toutes ces discussions avaient jeté le désaccord le plus profond dans la société espagnole, et le ministère chercha un moyen de salut en présentant une loi qui proposait de mettre la ligne en adjudication sans subvention aucune. Chose singulière, les cortès s’irritèrent encore plus que le public ; elles n’auraient pas voulu avoir à se prononcer sur une question qui pouvait engloutir les popularités locales. On vit alors se heurter entre elles ces natures énergiques et violentes d’Aragon, Navarre et Biscaye. Dans les sept sections du congrès, trois commissaires opposans furent nommés, trois étaient favorables, et un demandait de plus amples informations. Cette loi désorganisa le ministère, et, la situation devenant impossible, le cabinet de M. Isturitz disparut avec les cortès, laissant le pouvoir au cabinet actuel, que les députés de 1858 n’appelaient cependant pas de leurs vœux. On donna un carpetazo à la loi : c’est ainsi que l’on nomme en Espagne l’acte qui consiste à enfouir les affaires en portefeuille, et il est malaisé de les arracher à la poussière qui les couvre. Que l’on juge encore s’il a été facile en Espagne d’adopter un réseau systématique et de le développer.

La question n’est point morte cependant ; elle revient périodiquement à la lumière. Les intérêts persistent à la soulever. De nombreuses pétitions décidaient, en janvier 1861, le gouvernement à publier tous les documens relatifs à cette affaire, qui se trouve aujourd’hui assez éclairée pour recevoir une solution convenable, si les leçons du passé servent en Espagne.


II

À quoi tient l’importance de cette question ? Elle est tout entière dans la nécessité, chaque jour mieux sentie, d’étendre, de stimuler les relations de toute sorte entre deux pays comme l’Espagne et la France, que la nature met en contact permanent, qui sont faits pour s’aider mutuellement, et qui sont néanmoins séparés par un de ces puissans obstacles où vient se briser parfois le courant le plus naturel des choses. La chaîne des Pyrénées semble jetée à cette frontière comme pour défier l’esprit moderne ; l’isthme se trouve hermétiquement fermé par ces rochers inaccessibles qui s’élèvent entre deux nations de même origine. D’Irun à la Junquera, est-il, à proprement parler, un seul passage que la nature ait ménagé ? L’homme