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de département, d’arrondissement et même de canton, à une infinité de sociétés particulières d’escompte qui, en répandant les facilités et les bienfaits du crédit, maintiendraient, là même où elles trouveraient désormais la satisfaction de leurs besoins et de leurs ambitions, une masse considérable d’existences qui encombrent actuellement les grandes villes au détriment des autres parties du pays, où l’application de leur intelligence et de leur travail serait nécessaire.

L’exemple tant décrié des États-Unis d’Amérique et des colonies anglaises, où l’on a tout fait pour mettre à la disposition des individus et non des êtres collectifs les élémens nécessaires au développement de leurs facultés, n’est peut-être pas inutile à rappeler. On ne voit dans l’organisation financière des États-Unis que les désordres qu’elle a souvent produits, et lorsqu’on apprend que, sur les quinze cent trente[1] banques qui fonctionnent dans l’Union, il y en a une vingtaine qui suspendent leurs paiemens, on condamne de nouveau tout l’ensemble de ces institutions financières de l’Amérique, qui ont servi à former, dans l’espace de quatre-vingts ans, une des nations les plus nombreuses et les plus prospères du monde. On ne tient nul compte en effet, dans les jugemens sans appel que l’on porte, ni de la dissemblance des mœurs et des élémens divers qui composent ce peuple, ni de. la différence essentielle et fondamentale qui existe entre la liberté des banques aux États-Unis et la manière dont pourrait et devrait s’opérer en France une organisation équivalente. En France, pays homogène, fortement administré, l’autonomie des provinces qui ont formé la nation a complètement disparu ; aucune des témérités, aucune des excentricités qu’on remarque dans un pays où l’administration particulière de chaque état est souveraine ne serait possible parmi nous. Ainsi ce que nous condamnerions comme un crime de lèse-nation, comme une trahison, la séparation possible du nord et du midi par exemple, peut se produire

  1. Au 1er janvier 1859, il existait dans les États-Unis d’Amérique 1,530 banques émettant du papier de circulation. La seule ville de New-York en possède ’54, dont le capital s’élève à 338,670,000 francs. À la Nouvelle-Orléans, pour une population de 150,000 âmes et un état qui ne compte pas plus de 1 million d’habitans, il existe 11 banques ayant des chartes octroyées par l’état, et 10 banques librement organisées. Entre cette exagération qui conduit à des catastrophes, — car, à l’encontre des banques du continent, qui restreignent leurs crédits dans les momens de crise, les banques américaines les étendent au-delà de toute proportion dans ces circonstances, — entre cette exagération, disons-nous, et une manière d’être qui n’offre à un pays comme la France, dont la population est supérieure à celle des États-Unis, d’autres ressources que l’encaisse et la circulation dont dispose une banque unique, n’y a-t-il donc aucun moyen terme à trouver ? M. Gautier, sous-gouverneur de la Banque de France, disait en 1837 que « les États-Unis en étaient à l’abus du crédit, et que la France n’en était pas encore à l’usage. »