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commerciales et industrielles doivent s’accroître en proportion de l’élévation des revenus fixes, pendant que la concurrence et le besoin universel de travail diminuent les chances de succès. Le capital, réclamé de toutes parts, ne se donne pourtant qu’au plus offrant et dernier enchérisseur, et les valeurs qui le représentent, ne pouvant librement circuler par suite des restrictions apportées aux transactions et à une bonne répartition du numéraire, dépérissent ou s’immobilisent entre les mains du détenteur.

On a vu plus haut que la France avait été entraînée dans des engagemens qui n’étaient pas en rapport avec ses forces, et que les émissions de valeurs fiduciaires de toute nature ont dépassé de 3 ou 400 millions par an le chiffre de ses économies. Le pays a donc à liquider cette situation avant de rentrer dans une position normale ; mais, au lieu de lui laisser le temps de mettre ordre à ses affaires, les compagnies de chemins de fer vont lui réclamer encore 250 ou 300 millions par an, sans compter les appels qui lui seront faits par toutes les administrations municipales de la France, et les sommes que le public français doit fournir dans les entreprises étrangères en cours d’exécution, chemins russes, espagnols, portugais, italiens, etc. Il nous paraît évident que tant que l’on restera dans cette situation, il y aura un trouble permanent dans notre économie financière. Néanmoins il faut marcher. Les grands travaux d’utilité publique ne peuvent pas s’arrêter, les entreprises urbaines surtout doivent suivre leur cours, car si elles venaient à chômer, que ferait-on de cette main-d’œuvre déclassée, déshabituée des champs et des petites villes, accoutumée à une rémunération qui s’accroît sans cesse et a fait naître une multitude de besoins, de dépenses auxquelles on serait obligé de pourvoir ? Quelles sont les industries, les exploitations privées qui pourraient remplacer le luxe de travail des villes et la nature de ce travail[1] ?

Où donc est le remède à cette situation ? Quand un homme aux

  1. Oserons-nous dire que le temps paraît être venu d’apporter un tempérament à l’effervescence des dépenses municipales ? Lorsque nous avons tant et de si grands progrès agricoles et industriels à accomplir, il ne parait pas indispensable que ces travaux extraordinaires soient continués au prix de la perturbation qu’ils concourent à produire dans notre situation financière, car ils ne peuvent se justifier que par une exubérance de richesse, et n’apportent ni dans l’alimentation, ni dans les besoins généraux du plus grand nombre aucune économie, aucun élément de bien-être matériel, puisque au contraire ils rendent les conditions de la vie plus onéreuses. Outre le trouble qu’ils causent, ils détruisent l’équilibre dans la répartition et les conditions du travail, en sorte qu’en concentrant les capitaux et les bras sur certains points, ils y concentrent aussi les intelligences et les ambitions. Il n’échappera au jugement de personne que cette concentration appauvrit une partie du pays, forme des obstacles à la libre expansion de toutes les facultés qu’il renferme, détruit l’ordre naturel des vocations et des destinées, en sorte que l’harmonie générale de la société et la distribution utile de toutes ses forces partout où elles ont à s’employer ne peuvent plus exister.