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de valeurs que cette disparition a rendues désormais irréalisables ou a données en proie aux usuriers, en imposant des règlemens à la Bourse, dont les franchises auraient dû être étendues en raison du besoin tous les jours plus impérieux qu’on avait de son intermédiaire, en se servant à cet effet de lois caduques et inapplicables à la situation nouvelle des affaires, on a porté un grand trouble dans les fortunes sans atteindre au but que l’on poursuivait. La loi sur les commandites, qui rend désormais impossible la formation de sociétés sous cette forme, les droits imposés sur les valeurs mobilières témoignent d’une sollicitude de préservation et de précautions tout à fait opposée à l’expansion indéfinie que l’on voulait donner à l’esprit d’association ; mais toutes ces mesures, qui, si elles étaient justifiées, étaient néanmoins tardives, ne pouvaient empêcher les effets de l’exportation de l’argent dans l’Inde et dans la Chine, ne pouvaient pas lui faire repasser la frontière et nous le ramener de la Belgique et de la Hollande, où il avait servi à combler le déficit occasionné par la démonétisation de l’or.

Les mesures restrictives ont donc créé des embarras nouveaux sans obvier à aucun de ceux qu’elles devaient prévenir. Il ne faut pas se dissimuler cependant que le régime économique qui existe en France depuis dix ans a changé complètement les habitudes du pays quant à l’emploi de ses économies. La diffusion de la rente, les spéculations et le placement sur les valeurs mobilières ont donné aux épargnes une direction dont il est d’autant plus difficile de les détourner qu’un tel emploi ne demande aux détenteurs aucun effort ni aucune sollicitude. Les emprunts de l’état, des villes, des départemens, des communes, des grandes sociétés anonymes, donnent des revenus qui offrent des garanties surabondantes. On peut dire sans témérité qu’il n’est plus besoin du travail individuel pour faire prospérer son argent. Les êtres collectifs, état, villes, départemens, sociétés anonymes, absorbent toutes les économies du pays, et quand l’individu a besoin de capitaux sur un marché où des preneurs aussi sérieux, aussi responsables, se font une concurrence acharnée pour les obtenir, l’individu ne peut rien trouver, et les droits privés sont ainsi sacrifiés aux accaparemens collectifs. En d’autres termes, la collectivité absorbe sans cesse ce que l’individu recueille ; d’un tel régime à l’idée socialiste de la possession et de l’administration de toutes choses par l’état, le département et la commune, il n’y a peut-être pas très loin. Cependant la prospérité d’un pays se compose du faisceau formé par toutes les prospérités individuelles, et, si le capital vient à manquer à l’individu, que deviendront les êtres collectifs qui vivent de sa prospérité ?

Il est incontestable que les agens individuels de la prospérité du pays ont besoin d’être alimentés par le développement de tout ce