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faisaient naître de nouvelles, on a pu ne pas s’inquiéter des effets qu’en ressentait l’économie générale du pays. Lorsqu’on a vu la propriété territoriale d’un département qui, par exemple, représentait une valeur de deux milliards s’augmenter tout à coup de 500 millions par la construction d’un chemin de fer, il a été bien permis de dire que cet agent de circulation accroissait la fortune de cette contrée. En réalité, le pays augmentait de valeur sur certains points favorisés par cette amélioration, mais cette plus-value ne donnait à la masse de la nation ni un nouveau moyen pour changer ou améliorer les conditions de son existence matérielle, ni une nouvelle organisation pour utiliser l’universalité de ses forces. C’est l’histoire d’un homme qui achète pour 250,000 francs, dans une circonstance favorable, un immeuble qu’il revend 1,500,000 francs ; cet homme gagne 1,250,000 francs ; mais le public, les locataires sont obligés d’augmenter leurs revenus et leurs moyens de produite pour servir à cet acquéreur d’un immeuble dont la valeur est quintuplée des intérêts proportionnels, l’élévation de ce prix : c’est cette tâche que les chemins de fer n’ont pu accomplir. Ils ont pu donner satisfaction à une grande quantité d’intérêts, ils n’ont pas créé l’abondance, ils n’ont pas accru le bien-être général, car ce bien-être ne se reconnaît que dans de plus grandes facilités données au travail dans toutes les branches et dans une plus grande aisance apportée parmi ceux qui vivent de peu. Au contraire, l’augmentation de valeur que les voies ferrées ont procurée au pays a nécessité de plus grands efforts individuels pour obtenir un revenu qui justifiât cet accroissement de capital. Puis, lorsqu’il a été bien évident pour tout le monde et pour le gouvernement lui-même que les travaux publics, qui ne sont ordinairement que les auxiliaires de la prospérité agricole, commerciale et industrielle, étaient devenus la source de toutes les prospérités, on a vu les départemens, les communes et les villes entrer simultanément et avec furie dans la voie de ces travaux, dits d’utilité générale, et les emprunts départementaux, communaux et urbains faire appel à leur tour aux capitaux et accroître la quantité des valeurs fiduciaires qui absorbaient au fur et à mesure qu’elles se formaient les petites épargnes, employées autrefois à créer ou à développer l’industrie des particuliers.

Dès que l’état s’aperçut du danger qu’on courait à laisser se prolonger un pareil abus des ressources du pays, il se hâta de prendre des mesures restrictives contre la Bourse et le marché libre, agens de l’émission incessante et de la négociation de cette prodigieuse quantité de titres mobiliers éclos au milieu d’une effervescence que rien ne pouvait calmer. Qu’ont produit ces mesures restrictives ? En détruisant le marché libre qui servait aux transactions d’une multitude