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juger entre ce qui est mal et ce qui est mauvais ? Comment établir des limites équitables entre la laideur, la platitude, l’ignorance et tant d’autres négations de l’art ? Par pitié, quelquefois par lassitude, le jury laisse passer plus qu’il ne doit. Il sent qu’il est cruel d’empêcher un artiste d’offrir ses productions, si faibles qu’elles soient, au public, qui les achèterait peut-être. Aussi serait-il convenable d’épargner au jury une tache aussi ingrate et de ne point compromettre inutilement son autorité. Les éliminations préalables, qui ne seraient plus faites qu’au nom du bon sens et de la pudeur, pourraient être confiées à une simple commission, et l’on réserverait pour le grand concours toutes les forces du jury. Aujourd’hui on conçoit que les artistes maltraités, quand ils voient à l’exposition tant d’œuvres qui ne diffèrent des leurs que par le degré de médiocrité, les critiquent avec amertume. Il n’en sera plus de même lorsque tout ce qui est douteux, également admis pendant un mois, sera ensuite également écarté, et lorsqu’il ne restera qu’un petit nombre d’élus, capables de supporter l’examen le plus malveillant. D’ailleurs, l’Académie saura quel compte elle devra tenir de l’opinion publique, qui se sera déjà manifestée, de même que ses décisions seront aussitôt soumises au contrôle de l’opinion. Les vainqueurs du concours seront l’objet d’une seconde exposition, d’autant plus facile à juger qu’elle sera plus restreinte. Il y aura là pour la foule non-seulement un plaisir et un repos d’esprit parmi des œuvres qui seront toutes bonnes, sinon belles ; il y aura une éducation.

De la sorte, sans heurter nos habitudes, sans amoindrir les privilèges des artistes, que nous devons souhaiter d’étendre encore, nous avons deux expositions, deux jugemens, deux publics. Pendant le mois de mai, le Palais de l’Industrie est un marché de sculpture et de peinture ; une commission spéciale a fait la police de ce marché et l’a purifié ; les acheteurs sont introduits, ils font leur choix, la liberté de commerce est sans limites. Pendant le mois suivant, le Palais de l’Industrie devient un musée où le concours n’admet que les plus dignes ; l’Académie des Beaux-Arts préside en souveraine ce concours, dont l’administration déduit rigoureusement les conséquences : le public, rappelé de nouveau, n’est plus qu’un contemplateur, qu’un juge, et les jouissances sans mélange qu’on lui propose affermissent son respect pour l’art autant que son goût. En même temps les artistes sérieux sont assurés d’obtenir l’attention et les encouragemens qu’ils méritent, car la réforme que nous réclamons, nécessaire au maintien de l’art, utile au public, profiterait surtout à ceux pour qui le succès n’est pas seulement un but, mais un moyen, et qui ne trouvent la gloire vraiment féconde que si elle enfante le travail du lendemain.


BEULE.