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du bon plaisir, quelque impartial qu’il se fasse, ne vaut jamais une institution ; l’initiative personnelle, si éclairée qu’on la suppose, ne produit pas autant de bien qu’un principe, ni un bien aussi durable. Or le seul principe fécond, parce qu’il est le seul juste, c’est le concours.

On a pu constater récemment combien l’idée du concours appliqué aux arts est populaire, combien elle répond aux besoins de notre société. La nouvelle que la construction de l’Opéra était soumise à ce principe a été accueillie par une approbation unanime. Le gouvernement n’a pas promulgué beaucoup de décrets qui aient rencontré autant de faveur, parce que celui-ci donnait satisfaction aux exigences de l’opinion. Or ce que l’opinion demande, c’est que des règlemens équitables aident le talent à percer sans obstacle, c’est que les monumens qui sont destinés à être la parure de notre pays soient confiés, non pas à l’artiste le plus courtisan, mais au plus habile. Notre époque aime trop l’égalité pour que tout le monde ne désire pas être jugé par ses pairs ; l’égalité encombre trop les portes pour qu’un jugement ne soit pas nécessaire afin de déterminer les choix. On s’est plaint de la hâte qui a été imposée aux concurrens : ils ont dû, en quelques semaines, improviser plutôt qu’étudier les projets d’un édifice qui coûtera 10 ou 12 millions. Il est vrai qu’on se précipite aujourd’hui comme si l’on n’avait pas de lendemain, et telle est l’impatience de jouir que les artistes deviennent autant d’émulés de ce peintre que les Italiens surnommaient Fa presto. On s’est plaint encore de l’abstention des architectes éminens, qui n’ont pas voulu se mesurer avec des rivaux plus jeunes, peut-être même avec leurs élèves. Il y avait plusieurs moyens de les attirer dans la lice ; mais le meilleur moyen, c’est le temps. Un essai agite les esprits ; il faut des épreuves répétées et régulières pour que le concours entre dans nos mœurs. La Madeleine et le tombeau de l’empereur aux Invalides sont déjà loin des souvenirs. D’ailleurs, lorsque le concours se représentera partout comme une condition rigoureuse, la question d’intérêt réduira bientôt la question d’amour-propre à sa juste importance, car, dans ces combats pacifiques, la part d’honneur est encore belle pour les vaincus.

Il convient de ne point juger trop sévèrement une tentative, et d’en considérer surtout l’effet et la moralité. La moralité, c’est l’empressement de cent soixante-douze architectes qui ont répondu à l’appel de l’administration, apportant en commun leur tribut de science et d’idées. La moralité, c’est l’émotion de la foule qui est accourue à l’exposition des projets d’Opéra, et qui se pressait devant des plans et des coupes avec autant d’ardeur que s’il se fût agi d’un tableau de M. Ingres. La moralité, c’est la fermeté du jury, écartant des noms célèbres qui pensaient lui faire violence pour