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une sorte de terre-plein carré soutenu par un mur qui tombe droit à pic dans un champ situé à vingt-cinq pieds en contre-bas ; là aussi bivouaquent nos soldats, sous le ciel humide de l’automne, à côté de leurs fusils en faisceau, que rouille souvent le brouillard du matin. De cette terrasse, on a une vue immense qui se projette au-delà de Capoue, qu’on peut facilement surveiller. Vers le soir, quand déjà le jour avait éteint ses grandes clartés, nous vîmes tout à coup surgir un incendie qui brillait au loin derrière les murailles de la place forte. Il nous apparaissait comme un point lumineux que le crépuscule rendait plus éclatant de minute en minute. À l’aide de nos lunettes, nous distinguions les tourbillons de flammes qui se tordaient au-dessus d’une fumée noire inclinée par le vent. Est-ce une ferme incendiée par les royaux ? est-ce une meule d’herbes inutiles allumée par les paysans ? est-ce un signal ? Chacun donnait son avis. Garibaldi arriva. Debout sur le parapet qui termine la terrasse, il resta longtemps sans parler, regardant ce feu lointain ; il se retourna vers Monte-Tifata, qu’il sembla considérer durant quelques secondes avec attention, jeta les yeux du côté de Santa-Maria, qui déjà disparaissait sous la brume, et se reprit à contempler l’incendie. Un sourire singulier passa sur ses lèvres, et, se dirigeant vers nous, il nous dit : « Messieurs, cette nuit, il ne faudra dormir que d’un œil ! » Il remonta en voiture et partit pour Caserte. Un sous-officier, qu’à son beau langage je reconnus pour un Romain, et qui avait attentivement examiné le dictateur, dit tout haut, dès qu’il se fut éloigné : « Il a ri, le vieux lion ! Ce feu est un signal, la bataille est prochaine ! »

Une alarme qui s’apaisa nous retint jusqu’à onze heures du soir aux avant-postes. Nous rentrâmes alors dans notre chambre, et j’ôtais ma casaque pour me coucher, lorsque Spangaro me dit : « Croyez-moi, dormons tout habillés ; nos chevaux sont sellés à l’écurie, soyons prêts en cas d’événement ; le sous-officier avait raison, Garibaldi a flairé la poudre. » Le lendemain matin je dormais encore, lorsque Spangaro, se jetant à bas de son lit, courut précipitamment à la fenêtre, l’ouvrit et poussa les volets. Les pâles lueurs du jour naissant nous éclairèrent ; une bouffée d’air frais entra, et en même temps la crépitation des coups de fusil. À notre gauche, vers Santa-Maria, le canon tonnait sourdement à travers les arbres. En une minute, chacun fut sur pied et prêt ; l’aigre clairon réveillait ceux que la fusillade avait laissés endormis. Le jour verdâtre et froid se débattait encore au milieu des ténèbres ; le ciel était très pur, d’un bleu aigu. Comme nous descendions la grande rue de Sant’Angelo, nous rencontrâmes Garibaldi qui galopait sur un cheval noir, suivi de plusieurs guides. Il jeta en passant quelques mots d’encouragement