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qu’il cherche en vain dans l’ensemble de la statue les satisfactions délicates et le parfum qu’il trouvait dans le bas-relief des Adieux. Cela tient au parti qu’a pris l’auteur, plein de véhémence, de tension, de hardiesse, qualités qui alarment presque toujours le goût. La tête elle-même laisse à désirer, non que j’admette les critiques qu’on en a faites jadis, en la comparant à celle de Jupiter Olympien. La tête d’Adam ne ressemble point à la tête du roi de l’Olympe, elle rappelle bien plutôt les grandes chevelures des mosaïques de Saint-Jean-de-Latran et les efforts primitifs de l’art chrétien. Là les têtes ont quelque chose de sauvage qui ne répugne point aux sujets bibliques. Cependant, soit, fatigue, soit impuissance, M. Perraud est resté au-dessous de sa tâche.

Mais, ces réserves faites, il faut proclamer bien haut le talent que dénote le reste de la statue. Les bras principalement et tout le torse sont des morceaux magnifiques. On y sent une verve, une vigueur, une chaleur d’exécution qui sont rares à notre époque, et je ne crains pas d’ajouter à toutes les époques. Les formes sont énergiques et n’ont rien de vulgaire ; les muscles vibrent et ressortent avec tous leurs développemens, les chairs surtout sont palpitantes. Il y a longtemps que la sculpture n’a été attaquée par un ciseau aussi puissant et aussi fougueux. Les difficultés ne sont pas évitées, elles sont abordées, de face, multipliées à plaisir. Le dos est entièrement découvert ; le muscle dorsal, l’épaisseur du flanc avec sa ligne dentelée, les côtes et leurs accidens, les bras contournés et reployés, le coude et ses attaches, le cou qui s’agence dans des clavicules étonnantes, tout annonce le désir de la lutte, la volonté d’accumuler les obstacles pour les vaincre, de compliquer la matière pour la mieux saisir. L’artiste s’est plongé avec délices dans les labeurs de l’exécution, moins parce qu’il souhaitait de montrer sa science que-parce qu’il trouvait à satisfaire son généreux appétit et l’ardeur qui bouillonnait en lui. Il cédait à son tempérament, car dans la sculpture il ne suffit pas d’une idée puissante, il faut la puissance de la rendre.

L’Adam fut d’abord exposé à Rome en 1853, et il émut les artistes de tous pays qui habitent ce sanctuaire de l’art. Tenerani, le sculpteur le plus vanté de l’Italie, ne cachait point son admiration et promettait l’avenir à l’auteur d’une œuvre aussi remarquable. À Paris, les artistes ne s’y trompèrent pas non plus, lorsqu’ils virent l’Adam au palais des Beaux-Arts[1]. En 1855, cette statue paraissait

  1. Il suffit de transcrire les conclusions du rapport de l’académie, lu en séance solennelle : « Après ces observations, qui nous sont dictées par l’importance même de l’ouvrage, nous dirons avec plaisir que cette statue est empreinte d’un cachet remarquable et qu’elle offre une somme d’originalité digne d’éloges. Nous pourrons en outre y signaler de belles parties d’exécution et remarquer la puissance de vie et de modelé que l’artiste a su y répandre. C’est en présence de ces qualités et en considération d’un marbre exécuté avec ce nerf et avec cette chaleur que nous croyons pouvoir exprimer le vœu que le gouvernement fasse l’acquisition de cette statue, qui complète si dignement la série très variée des études de M. Perraud. » Voyez le compte rendu de la séance annuelle de l’Académie des Beaux-Arts (année 1853).