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M. Perraud, à son tour, ait été atteint d’une impression profonde devant les œuvres du Florentin. Les peintures de la chapelle Sixtine, autant que les figures du tombeau des Médicis, ont dû troubler ses rêves. La statue d’Adam, qu’il exécuta pendant les deux dernières années de son séjour à Rome, et qui a sept pieds et demi de proportion, trahit ce trouble et l’aspiration vers des formes gigantesques.

Adam, si je comprends bien l’idée de l’artiste, n’est pas seulement le père des hommes, c’est le type de la force, c’est l’homme aux prises avec la destinée du travail. L’inscription tracée sur la base de la statue reproduit l’arrêt de la Genèse : « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front. » Adam vient de tracer son premier sillon. Assis sur la peau d’un lion qu’il a tué, le soc de sa charrue entre les jambes, les bras appuyés sur le manche, il se repose, non pas comme un laboureur fatigué, mais dans l’attitude d’un athlète victorieux. Il ne se révolte pas contre sa condamnation, il l’accepte ; il n’est pas écrasé par le travail, il s’y retrempe ; il n’est pas humilié, car il redresse noblement la tête, et sa charrue lui sert de piédestal. Le travail n’est-il pas en effet la plus belle condition que Dieu ait faite à l’homme, dans l’ordre moral comme dans l’ordre physique ? N’est-ce pas le principe de sa puissance et de sa beauté ? Tirer du sujet une aussi haute moralité est le propre d’un penseur, et la pensée n’a jamais nui à la forme.

L’aspect de la statue a quelque chose d’imposant et de magistral. La partie supérieure est habilement rassemblée et prête à la grande sculpture. La tête qui se retourne par un mouvement à la fois fier et tranquille, la chevelure qui rayonne autour de la tête, les bras qui se relèvent et se disposent avec une tournure héroïque, le torse dont ils découvrent l’ampleur majestueuse, tout le haut de la statue est d’un jet saisissant. Je voyais un jour, en têts d’un livre sur l’agriculture, une gravure de l’Adam de M. Perraud : l’auteur ne pouvait choisir son frontispice avec plus d’à-propos. Or l’on sait ce que perd à être gravée toute figure qui n’a pas un mérite solide, car elle ne peut plus nous faire illusion ni par sa grandeur matérielle, ni par l’éclat du marbre. L’Adam résiste à cette épreuve, et le dessin laisse une impression qui rappelle les maîtres. Voilà ce qui frappe au premier abord. Si l’on examine les détails, on découvre aussitôt et des défauts, ce qui est naturel dans un sujet aussi difficile, et des beautés d’un ordre très élevé. Je commencerai par signaler les défauts. Par exemple, il est certain que le tronc d’arbre qui forme le manche de la charrue est placé entre les jambes de façon à masquer une partie du torse et à contrarier plusieurs points de vue. Le goût condamne cet arrangement, de même